13. Non, reste !

2.7K 291 58
                                    

Je marchai d'un pas assuré, fredonnant une légère ballade irlandaise afin de paraître détendue. Mais à la vérité, mes pensées vagabondaient toutes vers le capitaine. Pourquoi partait-il demain ? Cette date était-elle déjà fixée auparavant ? Ou était-ce ma crise de colère qui l'avait précipité ? Cette pensée me serra le cœur, alors je m'efforçai de penser à autre chose, comme aux champignons que j'allais cueillir, par exemple. Je me concentrai sur le bruit de mes pas, qui faisaient bruisser les feuilles sur lesquelles je marchai ; au vent qui s'engouffrait sous ma pèlerine, qui ébouriffait mes cheveux ; aux quelques oiseaux qui chantaient, perchés sur des branches.

J'arrivai enfin au niveau de la rivière, et revis fugacement Baptiste, agenouillé au bord de l'eau. Je sentis mes joues chauffer, alors m'accroupis dans l'herbe, et commençai à cueillir quelques champignons, que je plaçai dans mon panier. J'entendis plusieurs brindilles craquer derrière moi, sans y prêter attention. C'était sûrement un petit oiseau, rendu curieux par ma présence. Que faisait mon père ? Peut-être qu'il se reposait ? En tout cas, je l'espérais. Il avait besoin de repos. J'entendis de nouveau du bruit derrière moi, alors me retournai, prête à affronter encore une fois le capitaine. Ce ne pouvait être que lui.

Mais en face de moi se tenait un homme au regard mauvais. Mes yeux dérivèrent sur le poignard qu'il avait en main, ainsi que sur son pendentif en forme de croix. C'était un catholique. Il n'y avait qu'eux pour exhiber ainsi leur foi. Je sentis ma peau devenir moite, mais tentai malgré tout de ne pas montrer à cet homme que j'avais peur. Je lui demandai, d'un ton qui se voulait courtois :

« - Êtes-vous égaré, monsieur ? »

Son regard devint haineux, et il me hurla tout en s'approchant de moi, son arme à la main :

« - Sale protestante ! C'est à cause de gens comme vous qu'il y a un roi incompétent ! »

Il fit encore quelques pas, avant de brusquement se précipiter vers moi. Il m'agrippa par la natte qui pendait dans mon dos pour me maintenir le visage levé. Un cri de terreur mourut dans ma gorge quand je croisai son regard empli de haine. Sa main se referma sur ma nuque. Je ne pouvais plus bouger. Il leva le bras pour promener son arme le long de mon cou, savourant la terreur qu'il devait lire dans mes yeux. Mais alors qu'il écartait son poignard de moi, j'agis sans réfléchir.

Je le repoussai brutalement, et n'attendis pas qu'il se rapproche pour m'enfuir. Mais alors que je cherchai à m'éloigner de la rivière, un bras s'enroula autour de ma taille. Je poussai un hurlement strident, me débattant de toutes mes forces. Je fus soudain projetée brusquement à terre, et sentis l'air quitter mes poumons, tandis qu'une immense faiblesse m'envahissait. Le temps que je retrouve mes esprits, l'homme s'était placé à califourchon au-dessus de moi. Du sang gouttait de son arme. Epouvantée, je fermai les yeux de toutes mes forces, attendant le coup fatal. Des larmes roulaient sur mes joues. J'allai mourir, sans revoir Baptiste. Je revis en pensée son beau visage, et son magnifique sourire.

Soudain, je sentis le poids de mon agresseur disparaître. Je rouvris aussitôt les yeux en me redressant, et reconnus avec stupéfaction les cheveux bouclés du capitaine. Il frappait l'homme encore et encore, le visage défiguré par la haine. Apeurée, je ramenai mes jambes vers moi et y appuyai mon visage, que j'entourai de mes bras pour ne plus entendre les bruits de coups qui s'enchainaient. Je ne sus combien de temps je restai dans cette position, tremblante à l'idée que l'homme, catholique, ne prenne le dessus sur Baptiste.

Je sentis brusquement une main se poser sur mon épaule. J'eus un cri de frayeur en relevant la tête, mais reconnus immédiatement les yeux gris posés sur moi. Aussitôt, j'éclatai en sanglots soulagés, et le sentis s'accroupir à mes côtés, juste avant qu'il ne me prenne dans ses bras. Son odeur masculine m'enveloppa comme une étreinte apaisante, et je m'abandonnai entre ses bras aux pleurs. Il me berçait doucement, me murmurant des mots rassurants au creux de l'oreille de sa belle voix chaude. Lentement, je m'arrêtai de pleurer, mais restai blottie contre lui, savourant son étreinte rassurante. Mais je pris soudainement conscience d'une chose : alors que je pensais mourir, je n'avais pensé qu'à une seule personne. Lui. Pas à mon père, au désespoir dans lequel il serait plongé. Je sentis mes joues rougir d'embarras, et m'écartai brusquement de Baptiste.

Raison ou sentiments ? ✅Où les histoires vivent. Découvrez maintenant