Chapitre 4 - Partie II

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Lorsque Raphaël s'arrêta, trente minutes plus tard, devant l'énorme portail électrique qui gardait l'entrée de la caserne sécurisée, je ressentis cette joie singulière qui ne me submergeait que quand je rentrai chez mes parents. C'était un peu comme, pour un bref moment, le retour dans un cocon moelleux et rassurant, loin des étrangers et des problèmes. J'étais foncièrement convaincue que ma déficience de sociabilité avait un lien direct avec le fait d'avoir grandi dans une forteresse, entourée des mêmes personnes chaque jour, mais je m'en moquai. J'avais eu une enfance géniale, dont je gardai des souvenirs tout aussi chérissables.

Mon portable sonna à nouveau quand Raph stationna la voiture devant le petit pavillon de ma famille, mais je m'extirpai de l'habitacle en vitesse et poussai la porte d'entrée sans toquer. Je fus accueillie par une odeur de poulet rôti et par le sourire de ma mère. Tout en l'embrassant sur les deux joues, je serrai sa petite silhouette dans mes bras et ronronnai de contentement.

- J'ai amené le dessert ! m'écriai-je, ravie, en déposant mon gâteau sur la table de la cuisine.

- Tu aurais mieux fait d'en amener deux, ton frère mange comme un ogre, pouffa Marie, ma mère.

Le concerné fit justement irruption dans la pièce et s'avança vers moi pour me dire bonjour, sa grande silhouette dégingandée pas franchement coordonnée dans ses mouvements. Ah, les joies de l'adolescence ! Avoir quatorze ans, ce n'était pas marrant tous les jours. Néanmoins, je ne savais pas de qui Paul tenait ce corps svelte, parce que mon frère aîné, sans être gros, n'était pas une demi-portion. Tout comme le reste de la famille, d'ailleurs.

- Eh mec, plus je te vois, plus j'ai l'impression que tu as été taillé dans un tibia de cigogne, ricana Raph en lui serrant une poignée de main virile.

Paul pouffa d'un rire discordant et lui adressa un doigt d'honneur discret, dans le dos de ma mère, avant de filer dans sa chambre. Mon meilleur ami embrassa ensuite ma mère en roucoulant comme un idiot, ce qui lui valut une tape amusée sur le bras.

- Papa n'est pas là ? m'enquis-je en m'appuyant sur le plan snack de la cuisine.

- Il était de garde cette nuit et il avait quelque chose à faire au bureau avant de rentrer, m'expliqua ma mère.

Plus les années passaient, plus je me faisais du souci pour mon père. Vis-à-vis de son travail, qui était loin d'être de tout repos pour un homme de cinquante ans qui avait passé sa vie à servir son pays et ses concitoyens. Le pire dans le métier de gendarme était certainement le peu de considération que lui et ses collègues recevaient en retour. Parce qu'au lieu de les remercier d'être là quand ça n'allait pas, c'était plus facile de les traîner dans la boue. Et c'était ça, cette haine et cet irrespect croissants que le peuple avait pour les forces de l'ordre qui me fichait la trouille. Mon père n'était peut-être pas un militaire parti combattre en Irak, mais il risquait sa vie chaque jour et je redoutai toujours qu'un drame survienne.

- On va servir l'apéritif, m'informa ma mère. Il ne devrait pas tarder.

Raph la suivit au salon et je m'apprêtai à faire de même quand je me rappelai avoir reçu un message en arrivant. J'attrapai mon téléphone dans mon sac et tombai nez à nez avec un émoji pleurant un torrent de larmes, suivi d'un message qui me fit pouffer de rire.

« Je crois que tu as raison. Je suis vieux. J'ai mis cinq minutes à trouver comment ajouter une émoticône. »

« Si ça peut te rassurer, je n'ai rien contre les papys. J'ai fait des remplacements en maison de retraite quand j'étais ado, et ils étaient plutôt mignons. Enfin, ceux qui ne me mettaient pas la main aux fesses. »

Arte Corpus 1 - Tori et Noah (Sous contrat d'édition chez Plumes du Web)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant