Chapitre 15 Ils ne montent pas pour moi, mais pour toi

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-De quoi ?

-Antho doit-il créer ton adresse mail ou tu en as déjà une ? Allo, ma belle, pour ton portable... Ton ordinateur portable. Pour finir de le configurer, il te faut un compte gmail. Tu en as déjà un ?

-Quoi ? Oui, j'ai un compte pour ma tablette et mon téléphone ; mais qu'est-ce que ça signifie ? Le portable ? CE portable ? demandé-je devant la merveille que le fameux Anthony a ouvert devant moi et sur lequel il pianote frénétiquement. Parrain, tu n'as pas fait ça ? C'est non ! Déjà les cadeaux hier, je t'ai dit que c'était trop, là ça devient du délire. Je ne peux pas accepter !

-Dommage car il est déjà acheté, répond Yann sans se démonter face à ma colère. Il se trouble un instant, retient son souffle avant d'expirer longuement. Je crois savoir que mon attitude lui rappelle ma mère... Lorsqu'il croise de nouveau mon regard, il a repris son emprise sur lui-même. Tu as besoin d'un ordinateur, pour transférer tes photos, pour travailler, pour rester en contact avec tes cousins. Anthony s'occupe de tout mon parc informatique, privé comme professionnel. Je lui ai demandé de te préparer une machine pour toi aussi. Tu auras beau protester, c'est fait ; ce n'est donc plus négociable !

Je proteste toujours, même si je sais que mes yeux pétillants constituent un aveu à part entière. Pourtant, je ne veux pas qu'il me croie vénielle, ni qu'il se sente obligé de me gâter. J'use d'ironie. Dois-je m'attendre à un cadeau démesuré par jour ?

-Je peux ? m'interroge-t-il comme un enfant à Noël. Non, rassure-toi. Tu as vu, je ne t'ai pas acheté l'appareil photo ; j'ai été raisonnable.

-Je crois qu'on n'a pas exactement la même notion du raisonnable alors. Yann me décoche un petit clin d'œil et m'emmène. Dans la voiture, tout en caressant la boîte de mon ordinateur, je reviens à la charge de mon autre souci.

-Quand puis-je venir te déranger ?

-Tu ne me déranges pas ; jamais. A quel sujet ? fait-il mine de demander.

Je lui adresse un sourire narquois. Il le sait parfaitement ; je sais qu'il le sait ; il sait que je sais qu'il sait ...

-Tu n'as pas changé d'avis, soupire-t-il. Je me demande même pourquoi je m'en étonne. Tu peux venir demain. Le vendredi, généralement, on ne reçoit pas de clientèle, on travaille les dossiers. Je ferai en sorte de libérer une assistante pour t'aider à y voir plus clair et répondre à toutes tes questions. Ca te va ? Oh, et si ça te tente, le soir, Erwan, puis les enfants arrivent. Tu voudras venir les chercher avec moi ?

J'hésite et lui réponds par une question. Depuis quand ne les a-t-il pas vus ?

-Trois mois pour Gwen, presque le double pour Soizig.

-Oh, je vois ; alors je pense que je vais vous laisser seuls pour la première soirée.

-Quoi ? Non ! Tu te trompes sur leurs motivations ma belle. Ils ne montent pas pour moi, mais pour toi. Enfin, ils seront contents de me voir, mais c'est ta présence qui leur a tout fait lâcher pour venir. Sans toi Soiz ne serait probablement pas venue de l'été. Je ne veux te contraindre à rien, mais je crois qu'ils seraient vraiment très heureux.

Dans ces conditions, et avec l'assentiment de ma grand-mère, j'accepte avec autant de plaisir que d'anxiété. Pour l'heure, je m'attaque à mon programme de cuisine, retrouvant dans cette activité les habitudes qui me permettent de me calmer et de réfléchir.

Dehors, la pluie s'est invitée et j'ouvre la fenêtre pour humer cette odeur de terre mouillée. Je soupire ; la pluie va-t-elle m'empêcher de profiter de mes moments du soir ? Le porche principal m'offre un petit auvent protecteur. C'est là que je m'installe, pendant que mes sablés cuisent. L'air est rafraîchi, humide, saturé d'odeurs qui m'enivrent. La tablette sur les genoux, je m'adosse au mur, laisse aller ma tête en arrière et je savoure. Le silence, la quiétude, la sensation d'être à ma place ; accueillie, attendue, souhaitée, chérie. Je n'ai besoin de rien d'autre. J'ai tenté de le faire comprendre à Leslie ; je ne suis pas sûre d'y être parvenue. Mon inséparable est dévorée d'impatience par procuration de rencontrer mes cousins ; à l'inverse, c'est la rencontre que je redoute le plus. Ma grand-mère et mes oncles m'aiment à priori parce que je suis Sa fille. Mes cousins et cousines vont me voir, moi, ado pas très à l'aise avec mon corps, avec les autres, un peu décalée. Bref, s'ils s'attendent à trouver une miss monde ultra-populaire, ils vont être déçus.

Cette réflexion est interrompue par un bruit qui tend à devenir familier. Comme les soirs précédents, le voisin rentre. Il ne doit pas être loin d'une heure du matin s'il est fidèle à ses habitudes.

Sa portière claque, mais étrangement, je ne vois pas davantage de lumière dans sa chaumière, distante de quatre maisons de celle de ma grand-mère. Pourtant, je sens une présence. Je serais prête à le parier et, logiquement, je devrais être inquiète et rentrer aussitôt, au lieu de quoi, je dois admettre que je suis plutôt curieuse. Je n'imagine pas de jeunes vivre ici ; pourtant, sa conduite et l'heure de ses retours me fait plutôt pencher vers cette hypothèse. Je descends deux marches et il me semble deviner une silhouette vague, de grande taille. J'ai l'impression de voir une main se lever et je descends une marche supplémentaire. Mais l'ombre s'éloigne subitement et bientôt, la chaumière s'éclaire, avant qu'un lumière diffuse m'indique que l'étranger est sans doute passé à l'arrière de la maison.

Avec l'impression étrange qu'on peut avoir lorsqu'on se réveille d'un songe, je me secoue, réalise que je sus en bas de l'escalier et remonte au pas de course, prendre un peu d'avance sur mon planning. J'ai dans l'idée que la journée va encore être riche en émotions.

Un été pour une vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant