Partie 1

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Enveloppé d'un rideau de fumée noire, un homme surgit du néant. Ses cheveux blancs le vieillissaient tandis que son visage trahissait la vingtaine. Au fil de ses pas, le brouillard se muait en manteau sombre. Sa peau exsangue lui conférait un air malade et ses yeux rouges perçaient de leur étrange feu les alentours. 

Hêtres, châtaigniers et buissons d'épines l'entouraient. Le soleil brillait trop fort à son goût, mais l'individu se contentait de grimacer tout en cherchant son chemin. Il glissa, repoussant la végétation hirsute sur son passage. Quelques gouttes de sueur perlaient le long de ses tempes. Il s'essuya d'un air dégoûté. Il faisait vraiment trop chaud pour ce début d'après-midi.                

S'éloignant du bois, il guetta la moindre présence importune. Ses prunelles balayaient les alentours de gauche à droite alors qu'il s'approchait d'une clôture de bois. Il y découvrit un petit jardin bien entretenu, orné de plusieurs massifs de fleurs écarlates. Au-delà, une maison, au style campagnard. Elle constituait la seule habitation à des kilomètres à la ronde. Entre champs et pâtures, la propriété s'annonçait immense.     

À quelques mètres de la barrière, un garçon jouait au ballon avec son chien. L'Akita Inu courait joyeusement, faisant la course avec son jeune maître pour l'attraper le premier. L'enfant, âgé d'une dizaine d'années, riait aux éclats et ses boucles brunes dansaient au rythme de ses enjambées.    

Loin de se laisser attendrir, l'individu observait la scène, le cœur empli d'amertume. Ce petit vit normalement, comme si rien n'était arrivé ! L'innocence dans toute sa splendeur ! 

Serrant les poings pour mieux réprimer la fureur qui menace de le submerger, il crispa sa mâchoire. 

Une larme menaçait de franchir la barrière de ses cils. 

Non, je ne pleurerai pas, pensa-t-il. 

Se retrouver sans famille et isolé de tous l'avait transformé de manière notable. Son cœur brisé ne s'en remettrait jamais. Aussi devait-il agir ! Mais d'abord, ne laisser aucun témoin !  

Un nuage de fumée grisâtre jaillit aussitôt de ses mains. L'homme le laissa courir le long de ses doigts, puis se perdre dans l'atmosphère jusqu'à la maison, plus loin. Il le suivit lentement des yeux. Un rictus étira ses lèvres trop fines. Nul ne pouvait échapper à la puissance de ce sortilège. Les occupants de la modeste habitation ne tarderaient pas à sombrer dans un profond sommeil d'une heure.    

Quelques instants plus tard, la fumée ressortit de la cheminée pour disparaître haut dans le ciel bleu. C'était le signal ! Il pourrait œuvrer sans crainte. Personne ne les dérangerait !  

Il aurait pu en profiter pour tuer cet enfant, mais s'y refusait. Trop facile ! La précipitation s'avérait bien souvent mauvaise conseillère, de même que la haine ! 

L'homme avait juré de faire durer le plaisir. Il désirait un duel sans merci, une vengeance lente et cruelle. 

Oui, ce serait forcément mieux ainsi, se persuada-t-il. Pas d'exécution, cette fois !

Sa victime devait encore grandir, devenir forte et découvrir l'Ordre. Sans cela, à quoi bon attendre !             

Il hésita, puis décida de rejoindre le garçon. Malgré son jeune âge, il devait savoir. L'étranger voulait que l'enfant se prépare à l'affronter une fois devenu adulte. 

L'entrevue ne dura que quelques minutes. Juste le temps de lui révéler ce que d'autres préféreraient dissimuler. 

Comme il s'y attendait, le garçon s'empressa de nier, une fois la surprise passée.      Il refusa de croire les révélations de l'inconnu. Son visage se déforma de peur et d'incompréhension. Il s'efforça de défendre l'honneur de son géniteur, les larmes aux yeux. Une tentative bien inutile ! La vérité ne se maquillait pas, surtout quand on la vivait soi-même.

Le mystérieux visiteur assura ne lui vouloir aucun mal aujourd'hui. Puis, il lui promit qu'ils se reverraient. 

Évanescent tel un fantôme, il partit. Seule preuve de son passage : les aboiements furieux du chien. L'étranger attendrait autant que nécessaire. L'impatience ne comptait pas parmi ses défauts. Sa vengeance s'abattrait plus tard, plus terrible encore. 

Pour l'heure, il savait déjà comment s'occuper.     


Les Chevaliers d'AmalthéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant