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- Appelle tes parents, tu dors ici, lui dit Izïa en reprenant contenance. Je te prêterai des vêtements. Tu ne pourras lui échapper bien longtemps, mais tu peux toujours te préparer mentalement.

Phœbé la considère un instant. N'est-elle pas censée la rassurer ? Même en sachant parfaitement que cela ne servirait à rien. La logique d'Izïa ressemble à la sienne. Et encore, la sienne se montre plus pessimiste. Son « bien longtemps » représente pour elle « deux jours maximum » en comptant cette journée à peine entamée.

- Souris un peu, l'encourage-t-elle. Vivre avec un aussi beau gars ne doit pas être une tâche si difficile.

- Je t'y vois bien, moi, raille l'intéressée.

Izïa lui lance un sourire espiègle avant de sortir de la tente, talonnée par elle. La tête emplie de questions sur sa future existence, Phœbé ne suit rien de ce qu'il se passe, jusqu'au soir tombé. La seule chose dont elle a conscience est que les danseurs dansent, que les musiciens jouent et que les fumeurs fument. Après tout, ses problèmes ne les concernent pas. Ce n'est pas parce qu'elle en détient que le monde se voit dans l'impératif de s'arrêter de tourner afin de trouver des solutions à sa place. Peut-être doit-elle accepter son sort ? Peut-être que cette indépendance qu'elle cherche autant à garder, à protéger met ces personnes en danger. Ces personnes, qui elles, cherchent à s'échapper de cette société inégale.

Et ses parents ? Et son père ? Et sa mère ? Si cela se trouve, sa fuite les plonge dans l'insécurité. À cette réflexion, un puissant sentiment d'égoïsme lui tombe dessus, renforçant sa première idée : son indépendance conduira son entourage à leur perte.

- Phœbé, quand tu auras fini de broyer du noir, tu me le dis, OK ? s'impatiente Izïa, debout face à elle, les mains sur les hanches. Sans vilain jeu de mots, bien sûr, ajoute-t-elle, brisant le peu de crédibilité qu'elle possède.

- Je ne broie pas du noir, marmonne la jeune femme. Je réfléchis.

- Eh bien, je t'annonce que tu réfléchis trop ! Viens t'amuser. Le feu de camp est allumé.

- Je n'ai pas envie de m'amuser, refuse-t-elle, d'une voix plus sèche que ce qu'elle ne veut.

La jeune femme reste un instant statique puis abandonne dans un soupir. Elle rejoint la foule installée autour de l'énorme feu de camp, laissant l'Afro-Américaine, légèrement en retrait, observer d'un regard absent les personnes chanter, danser, rigoler, partager : vivre. Un craquement dans son dos l'alarme et coupe ce début de jalousie.

- Détends-toi, ce n'est que moi, la rassure un jeune homme.

- « Que toi », c'est qui ?

- Lauri. Celui qui t'a raccompagné la dernière fois, poursuit-il en ne percevant aucune réaction de la part de la jeune femme.

Autrement dit, le gars désagréable qui lui a tenu compagnie sur plusieurs mètres à sa première venue. Elle ne dit rien, n'ayant rien à dire, même lorsqu'il s'installe à ses côtés dans l'herbe.

- Pourquoi tu n'es pas en train de t'éclater avec eux ? commence-t-il.

- Je peux te retourner la question, riposte-t-elle, nonchalamment.

Doucement, elle ramène ses jambes contre son buste et pose son menton sur ses genoux tout en encerclant ses jambes de ses bras.

- Tu as froid ? lui demande-t-il.

- Non.

À ce moment-là, une brise caresse sa peau, la faisant frissonner. Un soupir franchit ses lèvres au mauvais timing du vent. Sans un mot, Lauri enlève son épais blouson et la glisse sur ses épaules.

- Qu'est-ce que tu fais ? râle l'Afro-Américaine.

- Trop de fierté, souffle-t-il sans pour autant lui fournir une explication.

- N'importe quoi. Tu m'as posé une question et j'ai répondu. La négativité de ma réponse n'est pas une question de fierté, mais bel et bien une réalité. Par contre, toi, tu es agaçant.

- Tu ne serais pas un robot, par hasard ? s'inquiète-t-il. Ta façon de t'exprimer est assez flippante.

Malgré ses efforts, un ricanement résonne dans l'air. Un robot ? On ne lui a jamais fait celle-là.

- Ferme-la, lui conseille l'adolescente avec un sourire.

- Les robots rigolent et sourient ? La technologie est beaucoup avancée à l'extérieur, constate le jeune homme, la mine faussement pensive.

- Je ne suis pas un robot. Arrête tes conneries, pouffe Phœbé.

- Tant mieux, je commençais à me poser des questions.

Un silence s'instaure entre eux, rapidement brisé par le garçon.

- J'ai entendu dire que tu passais la nuit ici, reprend-il sur le ton de la question.

L'étudiante acquiesce. Heureusement, il ne l'interroge pas sur le pourquoi du comment. Elle se voit mal lui avouer qu'elle fuit son âme-sœur. Bien que ne pas répondre serait une solution.

Jusqu'à très tard dans la soirée, ils discutent et apprennent à se connaître. Brisant les préjugés sans fondement. Quoique, Lauri soit véritablement agaçant.

- Bon, je crois que je vais te laisser, affirme Phœbé dans un bâillement.

- Fais donc ça avant que tu ne m'avales en bâillant, se moque l'homme.

- Tais-toi, rigole la jeune femme. Bonne nuit et merci pour la veste, dit-elle en la lui rendant.

Prenant la direction d'Izïa toujours en pleine animation, elle lui souhaite une bonne nuit et se dirige dans la tente qui lui a été attribuée. Elle ôte la tenue qu'elle a mise juste après s'être douchée en fin d'après-midi puis enfile le pyjama que son amie lui a prêté : une combinaison rayée noir et blanc, à manches longues.

Se couchant sur le tapis de sol, l'Afro-Américaine redoute sa nuit et ce pressentiment se solidifie lorsqu'elle se réveille dans un paysage des plus sombres, des plus froids et des plus effrayants. Cette fois-ci, il n'y a personne pour la sortir de ce pétrin, elle devra se débrouiller seule et faire face à sa colère, car là-dessus, il n'y a aucun doute, il doit être furieux.

𝐴𝑟𝑡𝑒́𝑚𝑖𝑠 : 𝐿𝑒 𝐶𝒉𝑎𝑛𝑡 𝑑𝑒𝑠 𝐿𝑜𝑢𝑝𝑠 [𝑇𝑂𝑀𝐸 𝟣]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant