II : Je peux te poser une question ?

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- Dis-moi Perceval. Je peux te poser une question con ?

On est dans la voiture de mon ami qui me ramène chez moi. Ilroule lentement, conscient d'être pas mal imbibé, comme je le suis.On a fêté comme il se doit notre première audition pour une maisonde disques. On n'est plus du tout clair tous les deux.

- Tes questions sont souvent cons. Alors vas-y.

- On se connaît depuis combien de temps, toi et moi ?Je veux dire, depuis le temps, tu te souviens de l'époque oùj'avais pas ma guitare ?

Il se gratte la joue. J'entends le crissement de ses ongles surla barbe naissante.

-Tu étais déjà musicien. Depuis pas pal de temps. Attends... Ons'est rencontrés quand mes parents ont divorcé... Ma mèreet moi on est venus habiter près de chez toi... On était à l'écoleélémentaire. La veille de la rentrée en sixième j'aidormi chez toi. Je m'en souviens puisqu'on a passé toute la nuità parler du collège. Et le lendemain on s'est endormi en classe !Et toi t'as pas arrêté de gratter ta fichue guitare, tu sais, cetimmonde machin couleur turquoise que tu avais à l'époque.

- Je l'ai toujours. J'ai jamais eu d'autre guitare.

Nous sommes à un feu. Il en profite pour me dévisager. Jecaresse doucement la housse de ma guitare, posée entre mes jambes.

- Non ? T'es sérieux ?

- On ne peut plus sérieux. Comme la peinture turquoisetenait pas bien, je l'ai enlevée et j'ai repeint la guitare ennoir. Avec de la peinture en bombe qu'on trouve en grandessurface. Au rayon voitures.

- Arrêtes ton baratin, je suis pas journaliste, moi.

- C'est la vérité, c'est toujours la même. J'aimême jamais changé les cordes.

Il s'esclaffe, un gros rire d'ivrogne. La voiture zigzague un peu.Heureusement qu'il est quatre heures du matin et qu'il n'y a personnedans la rue. Il accroche quand même une poubelle qui se renverse.

- Depuis toutes ces années ? Et avec le temps que tupasses dessus ?

Il rit encore, en se tapant sur les cuisses. Je crois même queles larmes lui en coulent sur les jours, tellement il trouve çadrôle. Je comprends mal pourquoi il se fout de ma gueule. L'alcoolaidant, je serre les poings. S'il continue ça va mal finir. Puisje réalise que lui, il change les cordes de sa basse tous les sixmois. Nico le chanteur-guitariste, toutes les six semaines. Lescordes c'est du consommable. Et je ne suis pas bourré au pointd'avoir oublié ça. Je n'ai jamais, en vingt ans de vie et demusique changé les cordes de ma guitare. Des questions flottent àla périphérie de ma conscience mais je n'arrive pas à me lesformuler clairement.

- Et elle vient d'où, cette guitare ? Un cadeau deNoël ? demande Perceval.

- Je m'en souviens pas. C'est vieux tu sais. Elle atoujours été la.

Perceval arrête la voiture devant la petite maison de banlieue oùj'habite.

- Allez Tristan, va te reposer. Prière de bien dormir cettenuit pour arriver en pleine forme demain. J'ai besoin de tes solosles plus éblouissants. Tu es le meilleur, tu sais.

Je sais. Je l'ai toujours su. Non, je ne suis pas prétentieux.C'est un fait.

Je rentre chez moi. Malgré toutes les bières que j'ai bu,j'arrive encore à marcher droit. Je branche ma guitare. Je suispeut être ivre mais ça ne m'a jamais empêché de bien jouer. Rienne m'empêche de bien jouer. Je m'assied sur mon lit, je commenceà jouer.

Puis mes yeux brûlent. Mes épaules sont en béton et mes doigtss'engourdissent. Pas besoin de regarder l'heure. Le jour qui selève, il est 5h, je m'écroule sur mon lit. Dans le désordre demes vêtements lancés au hasard, ma guitare à la main. Je sombreavec un grand sourire. Demain sera notre jour de gloire.

Période d'essai (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant