Voyages difficiles d'un réveur

4) Simple routine

"Alors, mon bro ! On a loupé le marchand de sable et on fait la petite sieste matinale ?!"

Son air était bien plus enjoué et son regard mauvais avait disparu. Eléonore poussa un soupir de soulagement en remarquant que ses deux potes étaient bien eux-même et qu'ils ne s'étaient pas récemment disputé au point de gacher une amitié centenaire.

Il fallait le dire, Damien et Nicolas s'étaient rencontrés en primaire et ne s'étaient jamais séparés depuis. Toujours dans les même établissements, toujours dans les mêmes options et filières, presque toujours dans les mêmes classes. Jamais ils ne se cachaient quelquechose, jamais ils ne se fâchaient, du moins pas plus de 15min, et jamais ils ne se comparaient ou se jugeaient. Une amitié si parfaite et si pure que les gens qu'ils rencontraient les prenaient toujours pour des frères. A tel point qu'ils décidèrent, un beau jour, de se considérer comme tel jusqu'à leur mort. Ainsi était les liens qui unissaient Damien Braudel et Nicolas Songarisk. Des frères, pour toujours.
Alors la soi-disante dispute qu'ils venaient d'avoir n'était qu'un jeu entre eux deux, et la pauvre Eléonore c'était apeurée pour rien.

Le week-end avait été long avec le vendredi férié, et les trois adolescents ne s'étaient pas vus du tout ; ils discutaillèrent donc tout le temps de  la recrée. Quand la sonnerie retenti, Damien racontait comment il avait récupéré la voiture de sa mère qui avait dévalé une pente à cause d'un frein de parking mal serré.  Ils se séparèrent finalmement et retournèrent à leur place, tranquillement, heureux de voir les uns et les autres en bonne santé.
Pourtant, Nicolas ne cessa de se mordre la lèvre inférieure durant le cours de physique, quelque chose le tracassait : les rêves qu'il avait fait avaient été très troublant et le garçon était encore chamboulé par les tours que lui avait joué son subconscient. À chaque fois, son meilleur ami était apparu, mais les deux premières fois, il ne l'avait pas vu, et dans le dernier cauchemar...
Il tressaillit : il ne voulait pas y repenser, ça avait été une vision horrible que de voir son seul et unique frère ainsi violenté.. Néanmoins, le rêveur n'avait pas parlé de ses rêveries à ses amis, et il s'en voulait un peu : en parler lui permettrait sûrement de laisser s'échapper un poids. D'un autre côté, c'était de la superstition d'autant stressé pour quelque images flous lors d'un songe agité.

Concrètement, Nicolas ne s'était jamais posé la question des rêves : d'où venaient-ils, qu'est-ce qu'ils représentaient, pourquoi... D'habitude, il ne rêvait pas, il dormait juste. Mais récemment il en faisait beaucoup trop, et pas des géniaux. Le pauvre n'avait que ses parents et son Damien en guise de famille, fils unique, ses grands-parents étaient morts quand il était encore tout jeune. Et en l'espace de 3 nuits, il avait réussi à tuer tout son cocon familial.

Il soupira longtemps pour extirper l'angoisse qui le prenait.
Décidément, il n'était pas au mieux de sa forme.

***

Nicolas rentra finalement chez lui, le cœur lourd et remplit de remord : il n'avait parlé à personne de ses rêves étranges, ce qui le paniquait. De plus, il n'avait pas adresser la parole à Domitille lorsqu'il en avait eu l'occasion. Cette fille, était pour lui une déesse : de long cheveux blonds lui descendait aux épaules, ses yeux étaient des saphirs étincelants et sa voix, celle d'un ange. Autant dire que dès que Nicolas la croisait, son cœur bondissait et ses pupilles s'élargissaient devant la créature. Le pauvre perdait tous ses moyens et à part des "bonjour" à peine audible, il ne disait pas un mot en présence de la jeune fille.
En définitive, sa journée n'avait pas été formidable, et à part les cheveux châtains clairs de Damien, accompagnés de ses yeux verts, Nicolas n'avait pas eu le réconfort auquel il s'attendait.
Il fallait dire qu'il n'avait pas non plus chercher à parler de ses tracas et n'avait même pas envoyé de signes à ses amis. Damien avait donc, de son côté, passé sa journée normalement, avec sa bonne humeur et sa grande voix riant aux éclats. Il ne s'était pas plus soucié que d'habitude de son frère spirituel.