Chapitre 4.

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                                          Badira


Un immense garde ouvre soudain la porte de ma chambre avec fracas, me faisant violemment sursauter. Je reconnais aussitôt l'un des hommes de la Valide Sultane et la peur au ventre, recule précipitamment dans la vaste chambre. Il est là pour me tuer ! Me dis-je alors qu'il s'amène vers moi, l'air menaçant. Je bute contre le lit et n'ai que le temps d'attraper le petit couteau dissimulé sous l'oreiller que l'homme vient me saisir brutalement le bras, me forçant à pivoter vers lui.

-Alkhalifat yatlub wujudak ya amra'ata. 'atae walatuthir dajatan wa'illa sa'aqtae lisanaka ! (Le Calife exige ta présence, femme. Obéis et ne fais pas d'histoire, sinon je te coupe la langue !) Ordonne-t-il en baissant les yeux vers le couteau que je tiens en mains. Aihtafaz biha, sawf tahtajuha bialtaakidi. (Gardes-le, tu en auras sûrement besoin.) Ajoute-t-il en me tirant brusquement vers le couloir plongé dans la pénombre alors que je place maladroitement mon arme dans une poche dissimulée par les plis de ma robe.

D'un pas vif, le garde m'entraîne à travers les nombreux corridors du palais étrangement déserts. Il n'y a personne... Aucune sentinelle, aucun eunuque, aucun serviteur, pas même une concubine. Mais alors que nous nous rapprochons de la salle du trône par le jardin des fleurs, j'entends soudain des hurlements féminins résonner et comprends que mon emprisonnement dans cette prison dorée est enfin arrivé à son terme.

La porte menant à la salle de la fontaine est largement ouverte et je peux voir de nombreuses femmes étendues sur le sol, nues et souvent ensanglantés. Certaines concubines ont tentées de fuir vers le jardin et leurs corps perforés d'une flèche ou d'une hache reposent sur l'herbe tendre.

Peu m'importe le sort de ses femmes, elles ne méritent rien d'autre que la mort. Chacune d'elle a intrigué, menacé ou tué pour accéder au pouvoir. Depuis neuf ans que je suis ici, j'ai vu nombre de crimes si abominables... Combien de concubines ont perdu la vie à cause de leur beauté ou de leur ventre fertile ? Combien de garçons j'ai vu naître puis mourir avant d'atteindre cinq ans, empoissonnés, égorgés dans leur sommeil, ou tout simplement battu jusqu'à la mort et tout ça pour que d'autres fils de Mohamed accèdent au trône ?

Je suis dégoutée de tout ce sang innocent, je suis écœurée de la vie ici...

Cette civilisation qui me paraissait magnifique au tout début de par ses couleurs, ses odeurs et ses chants, m'est apparu dès le premier crime comme révoltante, monstrueuse et barbare. Et le pire, c'est que les hommes qui régissent cette société si fermée s'en fiche royalement. La loi du plus fort règne dans le harem et la Valide Sultane intrigue elle aussi pour que sa favorite accède au trône à sa suite.

Je suis toujours restée à l'écart de ces femmes, ne parlant avec elles que lorsque je n'avais pas le choix, préférant de loin me perdre dans mes pensées et y retrouver tous ceux que j'aimais, surtout à mon arrivée ici.

Mes tous petits à moi... Thorolf, Henrik... Ils me manquent tant. J'aurais tant aimé être à leurs côtés toutes ses années... Pouvoir les serrer dans mes bras, les embrasser et les consoler lorsque leurs petits genoux saignaient, leur raconter de belles histoires avant que leurs beaux yeux ne se ferment pour la nuit...

Au début de cette captivité, je les voyais en rêve. Je marchais et jouais avec mes enfants dans de vastes prairies verdoyantes, leur criant mon amour et les embrassant tout mon saoul. Je pouvais même serrer Björn contre moi, l'embrasser à perdre haleine et me faire aimer de lui.

Mais à chaque réveil, je me retrouvais ici et la réalité me frappait de plein fouet... Enfermée entre ses murs détestés, j'avais l'impression d'être écartelée de douleur et d'amour... Les miens me manquaient horriblement et plusieurs fois, j'ai tenté de mourir pour mettre fin à l'intenable douleur que provoquait cette séparation. A quoi bon vivre si je ne pouvais être avec ceux que j'aimais ?

Elsker Nord (L'amour du nord)       Livre 2 et Livre 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant