Chapitre IV - « On ne doit pas rester ici »

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Victoria Blavatsky

Echelle : Trop jeune pour prendre le traitement

Âge réel : 16 ans

***

« Victoria Blavatsky ! Arrêtez de bavarder avec votre voisine ! »

Victoria bondit sur sa chaise. Elle rougit, en voyant des dizaines d'yeux la détailler avec insistance. Certains semblaient moqueurs. Dans un toussotement maladroit, la petite blonde s'enfonça dans sa chaise, qui grinça, comme pour la rendre plus ridicule.

La professeur qui l'avait reprise se nommait Madame Hernandez. Du haut de son mètre quatre-vingts, avec sa queue-de-cheval noire et rêche, elle donnait plus l'impression d'être un sergent qu'une enseignante. À l'école, les instituteurs étaient plutôt agréables. Seule Madame Hernandez inspirait la même aura lugubre que sa matière : les mathématiques. Victoria ne l'aimait pas — et ne s'en cachait pas —, surtout depuis qu'elle lui avait rendu un zéro, souligné d'un trait rouge et sec, en raison d'une absence injustifiée, quelques mois auparavant.

« Pardon », balbutia-t-elle, à peine audible.

Elle s'était installée à côté de Maddie, au dernier rang de la salle de classe. Au B, les écoles étaient pourvues d'ordinateurs intégrés aux pupitres, qui avaient depuis longtemps remplacés feuilles et stylos. Il suffisait aux étudiants de connecter leurs Bloomers, sur lesquels étaient sauvegardés leurs cours, à la prise d'un pupitre. Une fois l'unité synchronisée, un écran translucide apparaissait face à l'élève, ainsi qu'un clavier aux lettres lumineuses sur la surface du bureau. Victoria se plaignait sans arrêt du vieux matériel de l'école : comme son Bloomer datait au moins de quatre ans, la synchronisation était si lente qu'elle loupait souvent le début du cours.

« Vous feriez mieux de suivre la leçon. À moins que vous souhaitiez recevoir un autre zéro, ce semestre », la menaça Madame Hernandez.

Victoria avala sa salive avec difficulté. Obtenir trois zéros sur un seul semestre était éliminatoire. Elle n'avait jamais redoublé, possédait même une moyenne convenable, mais cela n'empêcherait pas son père de la tuer, si elle lui annonçait un énième fiasco en mathématiques.

« Oui, pardon », répéta-t-elle.

À sa droite, un garçon ricana, trop discret pour que Madame Hernandez ne l'entende, mais assez fort pour que Victoria comprenne qu'il se moquait d'elle. Il s'agissait de Blaise, un imbécile qu'elle haïssait depuis son entrée dans cette école. Il la fixait, un sourire benêt plaqué aux lèvres, en glissant de temps à autres quelques mots à Adriel, son voisin. Ses cheveux bruns tombaient avec grossièreté sur ses yeux marron dès qu'il remuait la tête, l'obligeant à les balayer d'un geste de la main toutes les dix secondes pour mieux y voir. Ce tic lui donnait des airs d'autant plus agaçants.

« Gros nul », grommela-t-elle, en serrant les poings.

Cette réflexion raviva le fou-rire de Blaise.

Victoria poussa un long soupir, ignora le sourire amusé de Maddie, et jaugea son Bloomer pour connaître l'heure. Il était vieux d'au moins trois gammes, et son système hologrammique buguait tant que Victoria ne l'utilisait presque plus, se contentant de l'écran tactile de l'appareil. C'était un accessoire aussi épais qu'une feuille, qui avait la particularité d'être flexible. Pour le consulter discrètement pendant le cours, Victoria l'avait enroulé autour de son poignet, grâce au système aimanté qui permettait de le porter comme un bracelet. En tant que bijou, il manquait cruellement d'esthétisme, en comparaison des Bloomers de certains de ses camarades. Victoria rêvait de détenir un produit issu de la dernière génération, mais son père et Jill n'avaient pas les moyens de lui payer une chose pareille. Au moins, si elle cassait le sien, elle ne perdait rien.

Les déliquescencesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant