Partie 5.

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            La puanteur était exécrable. Les siècles de dépôt de déchets et de déjections humaines et animales avaient fait du fleuve une véritable décharge malodorante. Et c'était parmi cette boue infâme que vivait la vingtaine de clochards des quais. Ils s'entassaient dans des baraquements de bois et de toile, dormaient à même le sol et vivaient de vols et de mendicité.

Les cabanes s'alignaient par ordre d'arrivée de leurs habitants, les plus éloignées du fleuve étant celles des plus vieux sans abris de ce bord de Seine.

Près de l'eau, sous une simple bâche tendue sur quatre piquets de bois rongés d'humidité, une nouvelle s'était installée depuis quelques jours. Malgré son apparence sale et misérable, elle ne ressemblait pas aux clochards qui peuplaient habituellement ces bouges puants. Elle ne mendiait pas et  ne passait pas ses soirées à se saouler avec le reste du campement. Elle partait à l'aube et revenait à la tombée de la nuit ; personne ne savait ce qu'elle trafiquait. Quand elle était là, elle restait juste seule sous sa bâche, à attendre.

Un après-midi, alors que la nouvelle avait disparu, une habituée des lieux boita jusqu'à la bâche de Berthe, afin de découvrir ce que cachait cette jeune femme étrange. Sous la bâche se trouvait étalée une toile marron qui prenait l'eau par endroit et qui servait de plancher et de lit. Un simple petit coffret de bois meublait cette cabane de fortune. La boiteuse ne put s'empêcher de soulever le couvercle. Elle trouva quelques lettres, un médaillon avec un portrait, des habits d'homme et une robe bien trop jolie pour une sans abris.

La boiteuse fit claquer le battant en grimaçant. Cette fille n'était pas une miséreuse de naissance ; si elle était ici, c'était parce qu'elle avait fait quelque chose de réprimandable, à tel point qu'elle avait dû se terrer dans ce camp de gueux. La nouvelle allait leur apporter des ennuis, la boiteuse en était persuadée. Il fallait la faire dégager avant que la police ne vienne saccager leur bidonville comme on mettait un coup de pied dans une fourmilière.

           Il faisait très sombre ; la nuit sans lune était d'un noir d'encre. Mais les yeux de Berthe étaient habitués à l'obscurité et elle se mouvait dans le noir avec l'aisance d'un animal nocturne. Pataugeant dans une boue qui commençait à lui devenir familière, la demoiselle Bovary cherchait à rejoindre sa tente de fortune.

Un coup lui fut porté dans les chevilles ; elle chuta violemment. Le nez dans la terre, elle fut frappée plusieurs fois aux côtes et aux membres.

« Dégage mécréante, on veut pas de toi ici ! Cria une voix féminine.

-Quoi que t'ais fait, on veut pas d'emmerdes alors casse-toi ! Ajouta quelqu'un. »

Les coups reprirent, plus violemment et plus forts. Berthe se releva difficilement et couru à sa cabane. La bâche avait été arrachée et déchirée. La toile de sol avait subi le même sort mais le coffret était intact. La jeune femme ramassa ce peu qui représentait ses seuls effets personnels et s'enfuit dans les ruelles alentours, sous les cris des sans-abris qui lui jetaient des pierres.

**

La cloche de l'église voisine avait sonné quatre heures du matin. La capitale endormie était calme. En tendant l'oreille, l'on pouvait entendre quelques notes de musique provenant d'une fête au loin.

Batiste se tournait et se retournait entre ses draps. Impossible de trouver le sommeil. A chaque fois qu'il fermait les yeux, le regard noir de cette fille s'immisçait derrière ses paupières, comme s'il cherchait à rentrer dans son cerveau. Elle l'obnubilait ; il ne pensait qu'à elle, jour et nuit. La traque qu'il menait avec ses hommes ne donnait rien ; cette femme avait un don pour se cacher. L'inspecteur pensait sérieusement à abandonner les recherches. Mais cette idée ne passerait jamais au niveau de ses supérieurs : la police tenait enfin une piste pour les meurtres du faubourg St-Denis, elle ne pouvait pas se permettre de la lâcher. Le peuple était déjà effrayé et en colère, l'annonce de la clôture de cette enquête entrainerait une émeute, et même pis encore.

BertheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant