~Chapitre 11: S'enfuir~

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Angerman le laisse quitter le camp sans dire un mot. La voiture s'ébranle, puis finit par avancer. Le Standartenführer n'ose jeter un œil derrière lui, de peur de croiser le regard du soldat inhumain. Des chuchotements s'échappent de la valise. C'est Liliane qui chante.

Ce que Kurt redoutait est arrivé. Il n'a pas roulé un kilomètre qu'il s'arrête en bordure de route. Le soldat Angerman est déjà en route pour le bureau d'Höss. Il est sur le point de le dénoncer et Kurt le sait. Il va perdre son travail, sa réputation. Il va faire de la prison. Sa vie sera ruinée. Mais il s'en fiche. Ce qui lui vient présentement à l'esprit, c'est l'avenir de Madeline et sa fille. Madeline. Elle est toujours dans la baraque de vêtements. Et Angerman sait où elle est. Elle va se faire tuer.

Que doit-il faire ? Il prend sa tête entre ses mains en s'appuyant sur le volant de l'automobile. Il songe à Josef qui est seul dans son appartement. Tous les autres prisonniers, il les a amenés très loin d'ici il y a déjà quelques jours.

Il fait face à une décision déchirante : Partir avec Liliane et Josef et les mener loin d'Auschwitz ou retourner dans le camp pour ramener Madeline avec eux. Mais sauver Madeline comporte d'énormes risques pour tous. S'il décide immédiatement de regagner le camp, des SS pourraient l'intercepter, renseignés par le soldat Angerman. Ils pourraient envoyer Liliane directement aux chambres... Et lui en prison. Qu'adviendrait-il de Madeline ? Et de Josef ? Mais s'il allait d'abord porter Liliane à son appartement, il perdrait du temps.

Désappointé, il frappe dans le pare-brise et crée une fissure dans celui-ci. Madeline voudrait qu'il sauve d'abord Liliane et c'est ce qui était convenu. Et c'est ce qu'il doit faire, mais pourtant, il se le refuse. Il ne veut pas abandonner Madeline.

Il ouvre sa portière et sort de son véhicule. Il la contourne pour rejoindre la portière du passager et y sort la valise. Lorsqu'il se décide à l'entrouvrir, il s'aperçoit que Liliane s'est endormie. Il la referme délicatement et va la poser sous un arbre. Il tente de la camoufler le mieux qu'il le peut avec des branches cassées et de l'herbe verte. Il saute ensuite dans sa voiture et rebrousse chemin vers le camp d'Auschwitz-Birkenau.

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Assise sur une montagne de vêtements, Madeline observe à travers la fenêtre les prisonniers au loin. Ils sont occupés à trier les quelques valises que les enfants de Pithiviers ont emportées avec eux. À l'horizon, elle peut discerner les cendres noires s'élever dans le ciel. Elle avale sa salive et ferme ses yeux.

Qui sera là pour les pleurer ? Ils avaient entre zéro et douze ans. Ce sont des enfants arrachés des bras de leur mère. Il y a des nourrissons, des bébés. Comment ont-ils pu ?

Ses joues picotent et sa gorge se noue, mais elle n'arrive plus à pleurer. Elle n'en est plus capable.

Tout à coup, elle sent une chose sur son bras. Elle ouvre ses yeux et découvre qu'une petite souris se nourrit de sa chemise. Elle la secoue légèrement et la petite bête s'enfuit en sautillant pour se cacher dans une pile de tissus.

Lorsqu'elle relève la tête, elle est étonnée de voir Kurt rentrer dans la baraque comme un courant d'air. Il prend soin de refermer la porte derrière lui. Elle remarque que son front est parsemé de minuscules gouttelettes et qu'il a le souffle court.

- Vous avez couru ? demande Madeline, légèrement inquiète.

Aussitôt la porte refermée, il se précipite vers Madeline et lui prend les épaules.

- Nous avons un problème. Le soldat qui t'a frappée lors de ton arrivée ici est au courant de tout. Il sait pour Liliane, il sait pour toi, il sait pour moi...

Le SS qui aimait une juiveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant