Chapitre 6

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Les heures suivantes furent calmes, mais Sylvain dormit mal. Non seulement il avait peur de ne pas se réveiller s'il y avait un appel, mais les paroles de Madame Bellerose tournaient en boucle dans sa tête. Il se sentait totalement confus. Il allait en discuter avec Cédric. Peut-être était-il même temps de se faire porter pâle avant d'attirer l'attention de l'une ou l'autre de ces créatures, comme la djinne et ses œillades enflammées. Malheureusement, Sylvain se sentait en pleine forme et n'avait pas, lui, de papa psychiatre qui pouvait lui faire faire un certificat de complaisance. Il fallait trouver autre chose.

Vers 04h du matin, ils furent appelés pour un troll qui avait eu un accident de moto en état d'ébriété avancé, avec une fracture du fémur. La prise en charge n'eut rien de différent par rapport à un humain, sauf que l'individu mesurait plus de deux mètres de haut, pesait dans les cent cinquante kilos et dégageait une odeur pestilentielle de sueur rance, et de vielle vinasse.

Les vacances scolaires commencèrent le surlendemain. Il n'y avait plus de cours à la fac. Quant à Cédric, Sylvain apprit qu'il était parti en vacances au Canada et tous ses messages allèrent sur le répondeur. Au SAMU, les journées furent tranquilles, en pleine opposition avec les propos de Madame Bellerose, à tel point que le jeune homme avait l'impression d'avoir rêvé. Il passait les matinées à écouter les cours du prof qui étaient plus théoriques que pratiques : les différentes hypothèses sur la nature de la magie, l'architecture des principaux sortilèges. Il finit même par ne plus remarquer l'odeur d'ail et de plantes qui imprégnait les couloirs. Les rares transports n'eurent rien de particulier : il y eut une douleur thoracique chez un autre djinn avec un diabète, et cette fois il se laissa convaincre d'aller à l'hôpital. Ils ramassèrent aussi une laie-garou blessée par un chasseur à l'orée de la forêt. Les ambulanciers successifs inspectaient régulièrement le camion, mais il n'y eut pas d'autres traces de sabotage. Il répondit à des annonces de petits boulots, mais sans succès.

Le jeudi de la garde suivante, il retrouva Etienne et Christine qui passa une partie de l'après-midi en grande discussion avec le prof sur un article qu'ils étaient en train de rédiger. Ce dernier semblait ne quitter l'enceinte du SAMU PS, son bébé, comme il disait, que pour dormir. On pouvait l'y trouver dans son bureau tard le soir ou même le week-end, à se demander s'il avait une vie en dehors de son travail. Sylvain partit se coucher après un long exposé sur la physiologie des licornes. Ces créatures relevaient plus de la science vétérinaire que de la médecine, mais cela ne gênait pas le professeur qui était prêt à parler de n'importe quel sujet touchant à la magie, même s'il n'avait que peu d'utilité pratique pour le jeune homme. Nerveux, ce dernier ne commença à s'endormir que vers deux heures du matin, pour être réveillé une heure plus tard. Les yeux gonflés de sommeil, il rejoignit sa chef et Etienne dans l'ambulance.

— Appel pompier sur arrêt cardiaque. Jeune fille d'environs vingt-cinq ans trouvée dans la cave de la Pleine Lune. Le massage cardiaque a été débuté par un témoin, annonçait la standardiste à la radio.

—C'est une créature magique? demanda-t-il en se retenant de bâiller.

— Sans doute, fit Etienne en démarrant. La Pleine Lune est la boite de nuit de Hjalmar. On en croise pas mal là-bas.

L'ambulance traça dans la nuit, toutes sirènes hurlantes.

Sept minutes plus tard, ils se garaient devant un bâtiment surmonté d'un panneau de néon où s'affichait une grande lune ronde et quelques étoiles. Un petit attroupement de jeunes excités encombrait le trottoir, faisant la queue pour entrer. Sylvain prit la valise d'urgence dans une main et passa la bandoulière du scope sur son épaule. Un pompier les attendait devant la porte. Le vigile à l'entrée s'effaça pour les laisser passer. Il mesurait près de deux mètres avec une figure massive et un visage blafard. La possibilité qu'il fut un vampire effleura l'esprit de Sylvain, mais il n'eut pas le temps d'y penser davantage. Le beat effréné le prit de plein fouet. Il ne put que se concentrer à suivre Christine et le pompier dans la pénombre, contournant la gigantesque piste de danse, passant derrière le bar illuminé, dont les lumières flashaient au rythme de la musique. Il remarqua que nombre de clients étaient bizarrement vêtus de blouses blanches et faisaient tourner des stéthoscopes couverts de paillettes au-dessus de leurs têtes. Les barmen portaient de tenues de salle d'opération et le comptoir était recouvert de champs opératoires. Un grand drap suspendu au plafond proclamait : « Soirée Urgences ! ». Avec leurs tenues, personne ne prêta attention à l'équipe du SAMU. Sylvain s'engagea derrière sa chef dans un escalier étroit en colimaçon, tout en essayant de saisir les bribes d'explications du pompier qui lui parvenaient à travers la musique. Une fois la porte refermée en haut des marches, ses mots devinrent plus identifiables :

SAMU PS: Un stage mortelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant