Chap 32 : Reflet

3.2K 434 22
                                    

Durant le congé des Fêtes, ils font du lèche-vitrines, se promènent un peu partout, jouent aux touristes dans leur propre ville qui prend des allures d'immense cadeau de Noël.  Au détour des rues, alors que des flocons tombent paresseusement autour d'eux, il s'arrête soudain et l'entraîne par le main vers la vitrine d'un magasin amplement décoré de sapinages, de boules multicolores, de guirlandes et de lumières, le tout parsemé d'une couche de neige duveteuse. Elle lève des yeux ébahis vers Jérémy :

— Comment as-tu su ?

— Savoir quoi ?

Le regard de Louann scintille :

— C'est le magasin où je venais souvent avec mon Grand-père quand il venait en ville.  Il m'y a acheté la plus belle poupée de porcelaine pour mes sept ans.

— C'est vrai ?  Oh !

Il passe sa main dans ses cheveux, visiblement ravi de cette déclaration.  Il aime les coïncidences.   Il pousse un soupir qui laisse une traînée de buée dans l'air, puis explique :

—  En fait, je traînais souvent ici car l'immeuble de la Compagnie de mon père est juste au coin de la rue.  Quand je débarquais à son bureau trop tôt à son goût, je venais ici pour passer le temps en l'attendant.

— Sérieux ?

— Même parfois des samedis après-midi entiers, alors qu'il écourtait une sortie « père-fils » pour faire un saut au bureau pour « quelques minutes »...

Louann regarde la physionomie de Jérémy.   Il lui a conté un peu son enfance de gamin esseulé, laissé à la garde des employés engagés par ses parents : nounou, cuisinière, chauffeur, secrétaire.   Ce, avant d'être envoyé au pensionnat une fois le jeune âge passé.

Elle s'imagine un petit Jérémy, plus blond, les cheveux dans les yeux, la moue sérieuse, endimanché dans son uniforme de collège privé.  Mais le gamin a les mêmes yeux rieurs que maintenant et le même petite fossette, quoique plus accentuée, sur le menton.

De son côté, il se plaît à imaginer une petite fille aux tresses lisses et à la robe à volants... Non, ce serait plutôt en jeans et petite chemise à carreaux, une pince dans ses cheveux rebelles, une paire de lunettes sur le bout du nez, comme celles qu'elle ne trouve plus depuis deux mois et qu'elle a remplacé par des lentilles.   Oui, voilà une image qui lui plaît... Surtout avec ce regard... toujours aussi doré.

Ils se regardent.   Personne ne dit mot, mais leurs pensées dérivent vers la même conclusion : s'y seraient-ils croisés ?

Il lui ouvre la porte de la boutique avec galanterie et elle entre le coeur battant : les retours dans l'enfance sont souvent troublants.

La chaleur odorante qui les accueille est toujours la même : poudrée, remplie de promesses et même ... de mystères.

Oubliant les gens autour d'eux, les garçonnets et fillettes qui entraînent leurs parents dans leurs croisades entre les étagères, ils reprennent le chemin d'autrefois.   D'un pas silencieux, ils arpentent les couloirs qui croulent sous les jouets d'hier et d'aujourd'hui, théâtre de leur jeux d'enfance.  Les présentoirs de poupées, les trains aventureux, les figurines de héros, les baguettes magiques, les jeux de cartes, les déguisements de toutes sortes...  Ils actionnent une boîte à musique, essaient des lunettes tridimensionnelles, se coiffent d'un chapeau-claque ou d'une couronne... Leur sourire est empreint de magie, de nostalgie et d'émerveillement.

Lorsqu'ils atteignent l'un des coins de la boutique, ils se retrouvent face à un immense miroir aux contours ornés d'arabesques dorées.   Louann porte ses mains à son visage, les yeux agrandis de joie.

— Oh ! Le miroir géant est toujours là !

Le reflet de la jeune femme sourit et fait une pirouette sur elle-même, comme lorsque fillette elle s'imaginait en robe de princesse.   Le reflet de Jérémy l'observe en souriant, puis déclare :

— Il a un double fond, si je me rappelle bien.  Je me suis caché du chauffeur Marco un jour...

Le reflet glisse derrière elle. Jérémy va derrière le miroir, cherchant le mécanisme d'ouverture.

— J'adorais ce miroir, déclare Louann, à cause de Blanche-Neige.  Je passais un temps fou à m'imaginer des histoires devant.

Sa tête se penche de côté et elle s'approche de la psyché brillante pour y poser les doigts, les yeux perdus dans ses souvenirs :

— Miroir, mon beau miroir, dis-moi qui est la plus belle, murmure-t-elle rêveusement...

Et pour la toute première fois, le miroir lui répond.

— C'est Louann, la plus belle...

La magie ne se trouve pas que dans les joies de l'enfance.   Elle se trouve là, dans les reflets de la banalité quotidienne.   Dans les yeux de ceux qui savent regarder au delà de la réalité.

Clair-ObscurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant