Qui suis-je ?

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Dans la vraie vie je suis en fauteuil roulant mais la nuit je marche. Pour les besoins de ce recueil, je me situerai comme « debout »* (environ 8% de la population), et donc encore en situation de handicap dans ce pays imaginaire où les rôles sont inversés entre les personnes dîtes valides et les personnes dîtes handicapées. La normalité, pourvu qu'elle exista, a changé de camp. Je me mets à la disposition de mes amis handicapés, en fauteuil comme moi dans la vraie vie, pour dénoncer les discriminations dont nous pensons être victimes.

J'étais un zandi* (autoproclamé normal). Un roulant ! En fauteuil dès ma naissance comme tous (ou presque) les habitants de ce pays.

Jusqu'au jour où ma roue s'est arrêtée de tourner suite à un accident de fauteuils à une intersection de pistes roulables*.

Le coup du zapin* ! Sous le choc, la vertèbre C3* qui jusqu'à ce jour pinçait ma moelle épinière, se déplaça et libéra la pression du liquide LCR* qui dorénavant irriguera la totalité de ma moelle épinière jusqu'à la moindre terminaison nerveuse et réveillera tous mes muscles. Sous l'effet de ce phénomène hydraulique, les articulations se débloquèrent les unes après les autres. C'est la hantise de tous les zandis*. Le long séjour en centre de réadaptation fonctionnelle afin de subir une zapino thérapie* avec les séances de rééducation pratiquées par des zandi kinés, et l'épreuve douloureuse du Toᴙsadeur*. Rien n'y a fit.

Ce jour là, ma vie a basculé.

Je me suis retrouvé irrémédiablement parmi le P.N.R.* et condamné à marcher pour le restant de mes jours. Cet événement tragique m'a permis de mesurer ma chance antérieure. Celle d'être en fauteuil comme tout le monde. Eh oui, ça n'arrive pas qu'aux autres.

Au niveau de mon activité professionnelle, j'avais dorénavant besoin d'un poste aménagé avec bureau surélevé et appuis fessier* ergonomiques fixés le long des murs, armoires de rangement accessibles dans des locaux à plafond haut desservis par un escalier. Après avoir été placardisé plusieurs années, le zandi* médecin du travail m'a déclaré inapte au travail. En fait j'aurais pu continuer mon activité pourvu que mon poste fut aménagé, mais nous étions dans une période déficitaire et cela a probablement été jugé non rentable, hormis l'image négative (aux yeux de la société) que j'étais censé renvoyer.

Il serait plus facile de m'asseoir dans un fauteuil, me diriez-vous. Oui, le P.N.R.* le voudrait bien, malheureusement notre handicap nous interdit cette posture. Dès que nous tentons de nous poser, une rigidité musculaire excessive apparaît. Ces contractures brusques et involontaires sont très douloureuses et créent une résistance au mouvement de flexion des jambes.

Ma nouvelle situation me fait découvrir la vie différemment et j'essaye de positiver.

À partir de faits qui pourraient être réels, je me projette à Zandiland (j'appelle cela zandilandiser*).

Plafonds bas*, petits ascenseurs, portes basses, pistes roulables* auto nettoyantes réservées aux fauteuils, trottoirs défoncés pour les «debouts »*, pénurie de lycées adaptés à plafonds hauts, les étudiants optent pour les cours par correspondance, non respect des normes d'accessibilité, trop de dérogations abusives, peu de plafonds escamotables* dans les établissements publics bien que la loi l'exige, escaliers souvent en travaux pour la mise aux normes, l'accessibilité universelle sans cesse repoussée.

J'ajoute un zeste de bêtise, d'hypocrisie, d'incivisme, de j'-m'en-foutisme et de mauvaise foi.

J'espère que ce mode d'approche humoristique vous plaira.

- BONNE LECTURE -

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Appui fessier : coussin matelassé ergonomique fixé le long d'un support vertical ou d'une paroi comme dans nos transports publics.

Coup du zapin : choc au niveau de la vertèbre cervicale C3 particulièrement vulnérable à la suite duquel les zandis se retrouvent « debout » et marchent.

Un « debout » / des « debouts » : membre(s) du P.N.R.

(liquide) LCR : le liquide céphalo-rachidien est un liquide biologique dans lequel baignent le cerveau et la moelle épinière.

Piste roulable : équivalent de nos pistes cyclables, mais à l'usage exclusif des fauteuils.

Plafond bas : les plafonds des bâtiments de Zandiland sont normaux. La hauteur standard est de 1,55 mètres et le P.N.R. ne peut pas s'y déplier complètement.

Plafond escamotable : se relève sur les côtés et leur permet de se redresser. Aménagement en principe obligatoire dans tous les lieux publics de Zandiland (sauf dérogation).

P.N.R. : « Public Non Roulant » (8 % de la population). Public en situation de handicap aussi appelé les « debouts ».

Toяsadeur : appareil de rééducation dont le but est de re-torsader la colonne (dés-aligner la vertèbre cervicale C3 du zandi ayant subit le coup du zapin. Ainsi le liquide rachidien n'irriguera plus certaines terminaisons nerveuses.

Zandi : personne en fauteuil en situation de validité (92 % de la population) autoproclamée normale.

Zandilandiser : transposer une situation de la vraie vie en respectant les contraintes de Zandiland.

Zapino thérapie : épreuve du Toᴙsadeur puis traitement intensif des conséquences invalidantes du coup du zapin dans l'espoir de replacer la vertèbre C3 dans sa cavité.

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Illustrations : Sylvain Gallet - Anne Marie Benoist - Cédric Bondonnas -


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