Chapitre 31 : Retrouvailles.

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Il me fait signe de le suivre. Nous nous dirigeons vers l'entrée de la Crypte. Elle est gardée par un prêtre aux allures plus que martiales, quelques traces sur son cou et sur ses mains me laissent entrevoir qu'il s'agit d'un Adraconnique. Je fais semblant de m'arrêter, comme pris d'une quinte de toux. Je m'adosse à une pierre et y trace une discrète rune. L'homme s'approche de moi et pose sa main sur mon bras. Ferme, violent presque. Je lui appose une rune sur le bras. Il est désormais lui aussi pris dans la boucle formant le trou noir magique initié avec ses deux acolytes sur l'esplanade de l'édifice.

D'un signe de tête de Moubiliac, il ouvre la porte de la Crypte et nous commençons à descendre les marches. Il referme derrière nous. Nous arrivons en bas des marches. Je prends l'initiative d'avancer, lentement. Mes pas semblent être une simple déambulation dans ce lieu frais et reposant.

- Voilà des années que je ne t'avais pas vu, Dragon, me lance mon ami.

- Parce que je n'étais plus dragon.

- Et quel est ton nom désormais ?

Je ne réponds pas.

- Déjà à l'époque, dit-il, tu ne répondais qu'aux questions auxquelles tu avais envie. Tu n'as pas beaucoup changé de ce point de vue.

- Je ne suis pas venu les mains vides, lui dis-je.

Je sors ce que j'ai copié et le tiens fièrement. J'ai son attention, je continue :

- Je sais que tu es ici comme emprisonné. Ces prêtres, comme celle qui garde l'entrée de ce sous-sol, tu te sens oppressé lorsque tu es avec eux. Tu es mal à l'aise. Et je suis sûr qu'ils sourient lorsqu'ils se rendent compte de ton malaise.

- Et tu vas me dire pourquoi je suppose.

- N'as-tu jamais pensé qu'il pouvait y avoir un lien entre les personnes comme moi et les Anges ? N'as-tu jamais pensé que le Mal pouvait aussi être sournoisement entré dans l'Eglise ?

- Tu ne peux rien avoir de divin, sache-le. Et pour le Mal au sein de l'Eglise, tu enfonces des portes ouvertes.

Nous marchons, toujours doucement. Moubiliac a calqué son pas sur le mien, ce que j'attendais de sa part.

- Te souviens-tu, je lui demande, de ce petit vin que nous buvions à Rome ?

- Bien sûr, me répond-il.

- Le vin était bon, et pourtant, tu y as versé régulièrement quelques gouttes d'eau bénite.

- Et ça ne t'a rien fait. Après ton départ de Rome, j'ai beaucoup réfléchi sur ce que tu es. Tu es de nature draconnique, tu me l'as dit toi-même. De même, je sais que toi et les tiens êtes pourchassés. Quelques textes y font références. Des Adraconniques. Ainsi se nomment-ils. Je n'en ai jamais rencontré, à mon grand regret. Une telle société doit avoir ses rites, ses coutumes, son éthique.

- Tu es dans les ordres, mon ami. Ne crois-tu pas que tu en as côtoyé ? Une église devrait être un havre de paix pour des gens tels que eux.

- Toi, je te connais, me dit-il en me souriant. Tu sais que j'en ai côtoyé plusieurs. Et je ne pense pas me tromper en disant que le l'homme qui garde l'entrée de ce sous-sol en est un.

- Bien sûr, tu as vu juste.

- Au lieu de tourner autour du pot, pourquoi ne pas me dire pourquoi tu es venu ici ?

D'un geste du bras, j'englobe ce qui nous entoure.

- Ici, se dressaient des autels aux anciennes divinités, avant l'arrivée du christianisme. A l'époque de Mérovée, des druides rendaient hommages aux forces telluriques. Puis est arrivée la parole du Christ.

- Tu badines, Dragon, tu badines.

- Nous sommes ici sur les traces de l'ancien chemin que prenaient les futurs convertis.

Moubiliac regarde alors ses pieds. Dans son regard un mélange de joie d'arpenter un tel chemin, et d'interrogation à mon égard.

- Tu ne fais rien par hasard, me dit-il. Après tant d'années, je suis sûr que ta présence ici est intéressée. Que veux-tu ?

J'avance toujours. Venant de l'entrée de la Crypte, je sens des mouvements. Beaucoup de personnes s'y sont concentrées. J'altère ma vue et perçois nettement la présence de plusieurs Adraconniques. Ils vont venir nous voir. Moubiliac doit rester sous surveillance et voici de trop longues minutes qu'il est entré dans ce sous-sol sans en ressortir.

J'accélère le pas en activant la rune déposée à l'entrée. Mon trou noir à énergie compte maintenant trois Adraconniques supplémentaires.

- A l'origine, le chemin de cette crypte devait éveiller la conscience, amener plus près de ton Dieu, Moubiliac. A l'origine, tel était ce chemin. Avant, c'était un lieu de rituels ancestraux que tes dogmes renient et rejettent en bloc. Mais pose-toi cette question, prêtre. Quelle est la différence entre un Ange et un dragon voué à aider l'humanité ?

- Que ... commence-t-il.

- Désolé, dis-je sans le laisser finir, je n'ai pas de temps. Ils vont bientôt débarquer ici. Je suis venu pour ceci.

Je désigne un puits le long d'un mur.

- Sa base est très ancienne. Il est chargé de ce cette énergie dont j'ai besoin. Et toi, ta conscience a encore besoin de quelques pas pour s'éveiller définitivement. Sous le règne de Mérovée, certains de mon sang y sont parvenus, en suivant ce chemin que tu as parcouru. Le reste du chemin, tu dois le faire seul. Et excuse-moi pour ce que je vais te faire, « ils » doivent être persuadés que je t'ai fait du mal pour que tu ne sois pas inquiété par eux.

Je lui tends les papiers que je tenais à la main en lui murmurant mon nom. Il prend les documents, époustouflé par ce que signifie le mot que je viens de lui dire, et les range sous sa soutane. Et alors que je saute dans le puits, je l'envoie voler contre le mur en face. Dans ma descente, j'entends des bruits de course venant dans la direction du puits.

J'ouvre ma conscience, mon corps aux forces telluriques. Je ne sens pas le choc de mon corps en bas du puits. Si le haut de ce conduit est rond, sa base est carrée, signe de son existence en des temps très anciens, en des temps romains.

Sur un des côtés je vois un signe, un symbole. Il s'agit d'un ogam. Du bout d'un doigt, j'achève son dessin et il devient la lettre du Frêne. Un déclic se fait entendre et la pierre se disloque sous l'effet d'un torrent d'eau qui vient me percuter. Je suis emporté. Et alors que mon corps est ballotté loin sous la terre, une fontaine jaillie du puit.

Le flot d'eaux, gorgées énergies magiques, m'engloutit. Je me laisse guider et quitte rapidement le sous-sol de la cathédrale. Je draine ces énergies, lentement. Les anciens mythes, les anciennes croyances ont laissé une empreinte indélébile dont je me nourris.

Mon corps se rempli à nouveau de cette magie qui m'a tant manqué. Me voici en train de renaître. Je retrouve possession de l'ensemble de mes moyens. Et même plus. Je découvre des possibilités que j'ignorai posséder. Dans ce flot utérin de magie primitive, je grandis, je deviens adulte.

Mes sens sont surchargés et les seules impressions qui me restent sont des impressions de calme, de bonté et de joie. Je suis immergé dans un océan nourricier. Des voix mes parviennent, les murmures d'antiques prières prononcées en ces lieux avant l'arrivée du christianisme.

Mon corps s'échoue, sur la grève d'un ruisseau. Je suis trempé, heureux mais trempé.

Me voici, droit, planté au milieu d'un champ. Je ne sais pas exactement comment je me suis retrouvé à quelques kilomètres de mon lieu de départ. Au loin, je vois la Cathédrale qui se dresse, fière. Les liens magiques que j'ai perturbés s'assèchent et de nouveaux de créent. J'ai une pensée pour mon ami que j'ai laissé dans la Crypte, mais je suis sûr que Moubiliac s'en sortira. Il est plein de ressources.

En deux enjambées, je me change en dragon et je m'envole.


Le réveil des Sang-dragonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant