Chapitre 8 - 3

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Sir Kingslow était quelqu'un d'important. Tout du moins, il se plaisait à le croire. Il possédait un club privé au centre de Londres, une grande salle pleine de dorures où s'enchaînaient galas, spectacles et expositions, un palais dans lequel se mélangeaient la haute bourgeoisie et les artistes de renommée, un temple où les élites anglaises reconnaissaient un prophète dans la carrure athlétique de ce grand séducteur. Ne se séparant jamais de son haut de forme qu'il considérait à la base de sa silhouette distinguée, il savait donner aux mots l'envergure nécessaire pour charmer une conquête mais aussi pour tenir son établissement d'une main de fer, tel un magnifique despote.

Et puis, il y a avait les jeudi soirs. Il venait alors discrètement à la Maison pour revêtir le costume du moins que rien, oubliant toute puissance et influence pour se glisser dans la peau des opprimés, prêt à tout pour se sentir inférieur. Et cela plaisait à Carry.

Cette dernière l'accueillait chaque semaine dans sa chambre envahie de fourrures poussiéreuses pour goûter aux saveurs de l'autorité, une douce illusion qui la berçait grâce aux quelques ordres qu'elle miaulait à son client, rien de plus qu'un jeu.

« Retourne-toi. »

Sir Kingslow, nu et offert, obéit. Carry se leva de son lit, déployant autour de ses jambes sa longue robe dorée, et s'approcha de ce dos qui s'étendait devant elle comme une toile vierge. Elle examina cette peau parfaite, affichant un regard expert, et approcha finalement sa main pour la caresser. L'homme fut aussitôt parcourue par un long frisson mais ne dit rien, la tête baissée, passif. Finalement, Carry se retourna vers Liz qui se tenait assise dans un coin de la pièce, droite et intimidée, comme une élève lors du premier jour de classe. La Chatte lui adressa un sourire étrange, un rictus malsain qui semblait jongler entre l'enthousiasme et l'austérité :

« Regarde-moi bien. »

Sa queue fouetta l'air et ses moustaches frémirent, symptômes d'une inquiétante impatience. Son regard perçant revint sur ce dos athlétique et sembla s'attarder sur ses formes corporelles, comme pour le disséquer. Elle observa un instant les muscles rouler sous cette étendue beige, dessinant des montagnes anatomique et creusant des vallées de chaire, et scruta le moins soubresaut, le moindre tremblement, montrant toutes les caractéristiques du félin aux aguets. Finalement, elle posa délicatement sa main droite entre les omoplates de Sir Kingslow et demanda d'une voix aussi lente qu'effrayante :

« Tu veux avoir mal Charles ? »

Liz se figea, surprise et terrifiée. L'homme, lui, dit tout simplement sans relever la tête :

« Oui. »

Carry s'approcha davantage de son client et se pencha sur son oreille, affichant de nouveau son sourire jubilatoire :

« Dis-le, alors. »

L'homme trembla mais obéit :

« Je veux avoir mal. »

Carry resta immobile, silencieuse. Charles Kingslow sembla alors comprendre sa réaction et ajouta :

« Maîtresse. »

Aussitôt, le sourire de la Chatte s'agrandit. Sous le regard épouvanté de Liz, elle décolla la main de ce dos tremblotant, sortit ses griffes et les planta vivement au-dessous de la nuque, arrachant un râle de douleur à sa victime. Puis ses doigts parcoururent le dos entier, de haut en bas, déclenchant sur son passage un long gémissement qui semblait mélanger plaisir et souffrance. Après quelque secondes pendant lesquelles elle sembla habitée par l'ivresse du pouvoir, elle rétracta ses griffes et recula pour admirer les cinq trainées ensanglantées qu'elle avait laissées sur cette toile humaine, persuadée de ressentir la satisfaction de l'artiste devant une œuvre aboutie. Sir Kingslow se laissa tomber sur le tapis en peau d'ours qui recouvrait le centre de la chambre, respirant profondément pour faire fuir la douleur, puis finit par laisser échapper entre deux souffles :

La Maison des InhumainesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant