La brûlure

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Le feu avait laissé des plaies longues à guérir, même avec des onguents alchimiques. Même avec l'intervention d'un ovate que Morwan était allé débusquer loin dans la forêt. Un homme au regard clair qui avait longuement examiné les jeunes blessés sans prononcer un mot.

Aidée par les remèdes des mages, Dérycée se régénérait dans un sommeil agité. Une jeune fille ordinaire aurait conservé des séquelles à vie : cicatrices au visage, plaques de chair flétrie à la place des cheveux. La peau ivoirine de la changeline refusait l'affront de la flamme. Comme une fleur assoiffée, elle buvait les pommades pour redéployer ses corolles satinées. Chaque fois qu'il changeait une compresse, Morwan s'émerveillait de la force de vie qui regagnait le terrain volé par les brûlures. Un mince duvet soyeux recouvrit peu à peu ses plaies au cuir chevelu. Des petites mèches aile de corbeau naquirent au milieu de ce qu'il restait de sa crinière argentée, désormais coupée court pour en permettre une repousse à peu près harmonieuse.

Elle garda longtemps le lit, couverte de cataplasmes, avant de retrouver la force de se lever, amaigrie, ses jambes la portant difficilement. Le souffle lui manquait pour profiter des premières journées de la belle saison.

Corusco aussi avait souffert. De cette triste expérience, il conserverait une balafre en travers de la tempe. Et ses cheveux, le long de cette cicatrice, ne repousseraient jamais. Dérycée se sentait atrocement coupable et, bien que son cadet ne lui reprochât rien, n'osait plus le regarder en face.

Dolfi s'en était mieux sorti : à peine quelques plaies superficielles.

L'incident avait brûlé Dérycée dans son esprit autant que dans sa chair. Ses nuits étaient désormais peuplées des regards de la créature de feu, puits de ténèbres ourlés de flammes qui la poursuivaient et l'engloutissaient. Les paroles du démon au sujet de son père et de sa mère tournaient dans sa tête, aiguillonnant sa curiosité et sa peur de retrouver un jour ce monstre sur sa route.

Dérycée savait que Dolfi avait tout raconté à Morwan. Son père était donc au courant de la libération du démon. Son absence de colère ou de remontrances perturbait la jeune fille.

Un matin, elle décida de rompre le silence qui les séparait.

— Est-ce là le prix de la magie, papa ?

Morwan haussa un sourcil.

— Quoi donc ?

— Les remords, les cauchemars... la peur.

— C'est un des prix à payer, oui. Avec ce type de sorcellerie, le coût est souvent élevé.

— Il va revenir ?

— Je n'en sais rien, souffla-t-il sans conviction.

Dérycée capta son inquiétude.

— C'est pour ça que tu ne nous enseignes pas la magie ?

Le mage parut surpris.

— Est-ce vraiment ce que tu crois ? Je veux dire... Tu penses que je ne vous enseigne pas la magie ?

Elle hésita. Morwan se massa le menton avant de réagir.

— Je vous ai appris tant de choses essentielles ! Tout ce qui vous permet de comprendre la magie. Ses liens avec le petit peuple, avec l'Autre Monde et les Fomoïres, avec les dieux. Je n'ai jamais souhaité faire de vous de simples jeteurs de sorts.

— Pourquoi ? Est-ce que c'est encore lié au...

— Aux dangers que cela représente ? Pas seulement. Mais tu as pu constater que mes craintes étaient fondées.

Le Tombeau des Géants - 1 - La changeline et l'androloupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant