Le 08 Juillet 2016

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« Non, c'est vrai, on mange mieux. Et plus souvent. Ça change pas grand-chose finalement, je continue à faire comme avant. Le jour où ça changera, le Captain Kevin mettra les voiles. »

Je le reconnais bien dans ces propos. Kevin est et restera toujours égal à lui-même, libre d'agir et de penser. Mon intuition me dit qu'il partira avec sa belle si la Caravane ne trouve pas de solution pour redémarrer rapidement. J'ai confiance en son éloquence proche du génie pour convaincre Céline de le suivre. Décrocher l'infirmière de son rôle au sein du groupe représente un vrai défi tant elle y est attachée. Kevin a dû préparer des arguments en béton qui tournent dans son esprit en s'affinant. Quand il les déploiera, ils seront imparables. Si elle résiste ? Il l'aura à l'usure.

Je le connais un peu mieux depuis que Bob nous a demandé de procédé aux interrogatoires ensemble. Il parle beaucoup, certes, mais il écoute autant. C'est surprenant comment il retourne les propos et comment il perçoit toutes les subtilités. Il analyse en permanence et rebondit sur les moindres détails ou la moindre lacune. Il observe les comportements aussi. Notre chef militaire lui trouve des talents de psychologue. Sa liste de compétence s'allonge à m'en rendre presque jaloux. J'aime le chambrer en affirmant savoir faire trois choses dont il ignore tout : tenir sa langue, conduire une femme à l'orgasme et tuer sans remord. Je sais mon ami, ce n'est pas bien malin. En plus, la raillerie ne prend pas. Il répond seulement avec un regard de travers.

Il est doué, je le reconnais. L'entretien avec Sarah en était une belle preuve. Elle s'est présentée à nous dans un meilleur état que la dernière fois, sobre et avec des vêtements. Seulement, elle s'est tondue les cheveux. Tant de femmes l'enviaient ici ! Il ne lui reste presque rien sur la tête. Je n'avais d'ailleurs jamais remarqué ses petites oreilles légèrement décollées sous sa tignasse. Ça lui change entièrement le visage. Elle me ferait presque peur. Quand on lui a demandé pourquoi, elle nous a simplement répondu :

« J'en avais marre de vomir dedans, c'est chiant à laver. Pis j'ai entendu dire que des cons ont ramenés des poux alors... »

Une raison pratique, donc. Elle s'est métamorphosée en quelques semaines, je peine à y croire. J'aimais l'ancienne. La nouvelle Sarah provoque en moi un sentiment de méfiance. Pour le reste, la raison de sa présence face à nous, elle a débité le même charabia que la semaine dernière, en moins vulgaire. Nous l'avons gentiment congédié. Elle s'est plainte de l'ennui en partant.

« Je ne la crois toujours pas coupable vu comme on l'a trouvé la dernière fois. Elle n'aurait pas pu sortir de sa roulotte sans se briser le cou. T'aurais dû voir ça Kevin. »

Il s'est reculé sur sa chaise et il a porté sa main à ses lèvres. J'ai reconnu l'air sévère qui accompagne généralement ses réflexions. Il a acquiescé chacun de mes propos et pourtant je n'ai pas deviné sa réponse. J'ai imaginé naïvement qu'il serait d'accord avec moi.

« Qui te dit qu'elle n'a pas fait semblant quand vous l'avez interrogé avec Kube ? Qui prouve qu'elle était vraiment ronde comme une queue de pelle ? »

Je n'ai pas eu le temps de formuler ma réponse, il a repris immédiatement.

« Tu crois la connaître. Tu crois la connaître mieux que moi. Je te garantis qu'aujourd'hui plus personne ne la connait vraiment. C'est un fait. Elle est totalement déséquilibrée. En même temps, après ce qu'elle a subi et ce qu'elle s'est infligé, on ne peut pas vraiment lui reprocher. Le problème se pose en ces termes : personne n'est capable ici de lui porter secours. Je veux dire, dans sa tête. Tu vois ? »

« Pour moi, elle a résisté trop longtemps et elle a craqué. La dernière fois, elle s'est tuée pour de vrai. Alors, premièrement ça fait d'elle une tueuse et deuxième, nous ne savons pas quelle part d'elle est revenue. Il y a des chances pour que ce soit la pire. »

« Alors oui, ça ne suffit pas pour l'accuser, c'est plutôt mon instinct qui parle. Ça ne justifie même pas une réunion, je le sais. Mais je suis convaincu de sa culpabilité Vincent, même si j'ignore le pourquoi du comment. En tout cas, elle est à surveiller de près. »

« Toi, Vincent Hassermann, tu es un tueur, tu aimes assez le rappeler. Disons que le monde justifie plus ou moins tes actes. Sarah est une meurtrière pour moi. Elle a tué de sang-froid une femme désarmée, pacifique et très certainement de dos. Elle est bien trop dangereuse Vincent. Elle est devenue folle, tu ne peux pas le contester. »

Ses mots étaient durs à entendre. Je lui ai répondu sur un ton peut-être un trop sec.

« Tu dois d'abord prouver que c'est une tueuse.

— Pas besoin. Je viens de te le dire, elle est sa première victime. Et je ne compte pas l'enfant. Je sais pas pourquoi d'ailleurs... Trop petit ? Non, en fait, elle a déjà tué deux fois.

— Bah...

— Non mec, je suis sérieux ! Un conseil, garde toujours un œil sur elle et une arme chargée sur toi. »

Il m'a quitté en me saluant poliment d'un large sourire. Sarah ? J'ai du mal à y croire. Elle soufre, elle a besoin d'aide, pas de doigts accusateurs.


Survivance: journal de VincentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant