Un été studieux et résistant - Chapitre 9

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Mardi 28 juillet 1942

Peu de nouvelles, mais il semblerait que de bonnes nouvelles arrivent, cela redonne de l'espoir. Selon Kim de ce que sait Bernard, Bip.W vient d'arriver sur Lyon. Kim aurait connu ce dernier à Londres. Bip.W ne serait-ce pas Louis le meilleur ami de mon frère ? Cette question, je la garde pour moi. J'aurai assez vite la réponse. Comme chaque nouvel arrivé, il est présenté à EX20. Bernard espère recevoir grâce à l'arrivée par parachutage de Bip.W des fonds pour Libération Sud. Personnellement, je ne suis pas sans savoir que Lenoir, de Francs-tireurs et Nef de Combat en espèrent aussi pour leur mouvement !

Jeudi 13 août 1942

Longtemps que je n'avais guère pris le temps d'écrire. Il faut dire que je n'avais pas grand chose à raconter. Des informations souvent étonnées et / ou incomplètes. Inutile de les graver entre ses lignes.

Je ne sais pas comment le prendre, j'ai appris que Laval avait accueilli avant-hier à Compiègne les premiers prisonniers libérés dans le cadre de la relève. Je rappelle qu'il s'agit d'un « échange », c'est-à-dire un prisonnier libéré contre un certain nombre de jeunes envoyés dans les usines allemandes sous le régime du STO. En lisant la suite du billet, mon visage se décompose en moins d'un quart de seconde, je lis: « Laval proclame "l'heure de la libération de la France est l'heure de la victoire militaire allemande" ». Je constate également que depuis que EX20 a un secrétaire les informations circulent mieux, ce n'est vraiment pas négligeable. Surtout celles qui viennent de la Zone Occupée.

Pour en venir à hier, il semblerait que 1400 marines initialement destinés à Guadalcanal, sur l'île d' Espiritu Santo, future base de ravitaillement pour les troupes des Salomon.

Jeudi 20 août 1942

Ce matin, la chaleur est écrasante dans les rues de Lyon. De plus, les nouvelles que je venais d'apprendre et que je devais transmettre n'étaient pas très bonnes pour ne pas dire pas bonnes du tout. Une des actions, si je peux appeler ça une « action », avait été un échec. J'ai reçu un long télégramme qui ressemblait à quelques mots près à cela : « L'opération Jubilée = raid anglo-canadien à Dieppe (avec la participation d'hommes de France libre), et comprenant la 2ème division canadienne du général Roberts, les commandos britanniques 3 et 4 de Lord Lovat ainsi que 50 Rangers. » Je ne comprenais pas tout dans le message, mais je devais le transmettre à quelqu'un. Je lisais ensuite sur un message : « 3 heures 30, hier matin, les chalands de débarquement ont été mis à l'eau. Certains dévient de leur objectif et l'ensemble est pris sous le feu allemand. ». Rien qu'en lisant ça j'étais abattue, mais il faut continuer. Suite du message dit : « Les troupes canadiennes qui ont réussi à débarquer sont clouées sur la plage par l'artillerie côtière. C'est un échec. » Plus tard dans la matinée, on m'a informée de la suite des évènements. Je cite « À 9 heures, l'ordre de rembarquement est donné. Tout le matériel débarqué dont 30 chars et 33 péniches de débarquement, fut abandonné ; les Alliés perdent également un destroyer et 106 chasseurs. Sur 6086 soldats alliés dont 5000 Canadiens, il y a 4384 tués ou blessés. De leur côté, les Allemands perdent environ 600 hommes et 50 chars. ».

Mardi 25 août 1942

Comme jeudi, il fait chaud à Lyon. Non ce n'est pas ce que l'on a entendu dernièrement à la radio, même si ça pourrait prêter à confusion. J'ai rencontré hier pas mal de difficultés pour effectuer mon travail de liaison. Ce qui m'embête, c'est que Bernard n'a toujours pas pu rencontrer Bip.W, le secrétaire de Rex. Se serait par lui que les fonds des différents mouvements transitent. Je n'en ai pas la moindre preuve, c'est pour cette raison que j'emploie le conditionnel. On a connu des jours meilleurs, ici à Lyon. Je parle un peu de nous les lyonnais, car je n'en ai pas souvent le temps. Mais aujourd'hui, je le prends. Je dois dire que les tâches qui me sont confiées sont devenues familières, ce qui, attention ne veut pas dire routinières. Je veux dire que j'ai, avec le temps appris à m'organiser de façon à n'en perdre le moins possible du temps. Et pour cause il est plus précieux que jamais, je tente à croire que quelque part plus on est prudent vis-à-vis du temps qui passe plus on est d'une certaine façon seulement à « l'abri». J'aurais presque envie de vous parler de l'avant guerre, de Lyon d'hier . Lorsque j'ai commencé à tenir ce journal, il y a déjà presque deux ans, à croire que la notion du temps me poursuit plus que jamais, je vous avais quelque peu parlé des traboules sans m'y être trop attardée n'est-ce pas ? J'aime les traverser surtout l'été, il y fait frais. J'aimais m'y poser dans le calme assise sur une pierre pour lire... Y a encore quelques années de cela, il y avait tellement moins de passage. Vous me direz, il n'y régnait pas encore ce climat incertain et oppressant que l'on ressent aujourd'hui lorsque l'on y passe désormais sans s'y arrêter plus d'une minute. C'est chaque jour le coeur un peu plus battant que j'y passe relever le courrier dans les différentes boites aux lettres. J'ai sans cesse l'impression que le pire est à venir.

Jeudi 27 août 1942

Mardi, je me suis peut-être un petit peu livrée, cela m'a fait un bien fou. Cela m'a réellement permis de revivre de bon souvenirs passés plus ou moins lointain que je raconterai peut-être un jour dans un livre si la vie me le permet et que j'en rencontre l'opportunité. Qui sait ce que nous réserve l'avenir à chacun d'entre nous au coeur de cet été 1942 ? Personne. Ça fait longtemps que je ne m'étais pas posé cette question entre ces lignes. Pourtant elle est bien présente constamment dans ma tête. Et cela à regret surtout lorsque l'on n'a que quinze ans.

Ce matin, j'ai dû déchiffrer : « Abattus à l'arme automatique par un sous officier allemand dans le Nord Pas de Calais au cours de la nuit du 25 août des ouvriers d'une cimenterie ».

Vendredi 11 septembre 1942

A dix jours de l'automne, j'ai bien l'impression que cette année, l'été est passé à une vitesse phénoménale. Je suis loin d'avoir profité de ma famille, moi qui enfant était si proche de ma soeur, de mon frère et de mes parents.

Retour sur ce début septembre accompagné d'une chaleur écrasante sur Lyon. Le 4 septembre Vichy a décidé que tous les hommes ayant entre dix-huit cinquante ans ainsi que les femmes célibataires de vingt et un ans à trente cinq ans doivent obligatoirement travailler et justifier de ce travail à toute réquisition. Concernant Lyon il y a du neuf ! Du haut de mes 15 ans, je me sens un peu importante lorsque je suis aux premières loges de l'actualité. C'était le 8, le gouverneur militaire de Lyon fut limogé par le gouvernement de Vichy puisque ce dernier avait refusé de participer à la mascarade d'une arrestation de Juifs. J'en suis atterrée. Ici ? A Lyon ?! Avais-je ressenti une inquiétude particulière en déambulant dans les traboules ces derniers temps ?

Mercredi 30 septembre 1942

Le mois a été chargé , je ne sais plus par quoi commencer. Peut-être parce qui s'est passé la veille de ma dernière "lettre", le 10 septembre. En effet de nouvelles troupes britanniques ont débarqué à Madagascar. Elles occupent Majunga, sur la côte ouest, dans l'objectif de contrôler le centre du canal de Mozambique. Une semaine plus tard, le 17 du mois les plénipotentiaires français ont rejeté les conditions qu'avaient posées les Britanniques à l'arrêt des hostilités. C'est le lendemain de ce refus des Français que la 29e brigade d'infanterie de l'Afrique-Orientale britannique débarque à Tamatave (que je ne saurais pas situer) sur la côte sans qu'aucune résistance leur soit opposée.

Il y a tout juste dix jours j'ai aperçu une lueur d'espoir pour notre avenir. Une date de débarquement dans nos colonies a été fixée. Ça sera dans quelques semaines mais je ne peux pas vous en dire plus pour le moment par sécurité. Je me demande si je n'en ai pas déjà trop dit.

Lyon, La résistance traboule - Tome 1:  Journaux de GuerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant