Bonne nuit, mon amour

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Ses mains fermes faillirent briser son portable. Naya se mordit les lèvres et inspira un grand coup. ANTI était là. ANTI était bien « vivant ». ANTI était un petit serpent vicieux, se terrant pour ne pas être vu. Avant de réapparaître pour s'enrouler autour de sa proie. Puis l'étouffer, à petit feu. Planter ses crocs dans sa chair, la déchirer et l'avaler. Elle déglutit, puis montra son appareil à Keiko, assise en face d'elle :



« Vous avez vu ça ?

— Heu... Oui, c'est... un joli portable ? lui répondit-elle, le regard perplexe.

— Comment ça ? fit Naya, interloquée.

— Je... Je ne vois rien de particulier, Madame, affirma-t-elle en évitant son regard.

— Ah... Naya regarda de nouveau son écran — vide. Navrée de vous avoir importunée. » ajouta-t-elle en se redressant sur son siège.


Plus aucun son ne sortit de la bouche d'aucun passager. Les deux gardes du corps se trouvaient à côté, élégants dans leurs sombres costumes-cravates. Une hôtesse en uniforme bleu foncé et au sourire fade déambulait dans le couloir. À l'avant, seuls le pilote et le copilote se trouvaient. Le front de Naya se craquela en plis soucieux. Soupirant, elle éteignit son smartphone d'un geste sec. Elle allait devoir se débrouiller autrement, une fois arrivée au Japon. La question que Cédric lui avait posé lui semblait d'autant plus d'actualité. L'avion fila sur la piste avant de s'envoler. Lorsqu'il atteignit les cieux et se stabilisa, elle régla son fauteuil pour s'endormir. Tranquillité.

***

Pris de secousses, l'engin était brinquebalé par le vent. Le pilote et le copilote tentaient tant bien que mal de sortir de la zone de turbulences. Leurs gestes mécaniques et mesurés devaient, en théorie, ramener à l'ordre leur monstre d'aluminium. Du moins, si quelque chose n'avait pas déjà infiltré leurs commandes.



Naya se réveilla en sursaut. Se frottant les yeux, elle regarda par le hublot : ils se trouvaient au cœur d'une tempête. La pluie battante giflait le verre. Elle serra les poings. Elle détestait prendre l'avion. Elle tenta de se tordre pour regarder derrière elle : l'hôtesse était assise et lui lançait un hochement de tête confiant. Tout allait bien se passer. 



Son portable vibra.



Naya fouilla sa poche pour le sortir. Elle s'attendait à un message scabreux d'ANTI. Cette pensée l'effrayait : en prenait-elle déjà l'habitude ?



— METS UN MASQUE —



Elle pâlit. Finalement, elle ne s'y attendait pas du tout. Qu'est-ce qu'ANTI voulait dire par là ? 



Nouvelles secousses. Plus virulentes, cette fois. Elle faillit se mordre la langue sous le choc. Les mains crispées sur les accoudoirs, elle ferma les yeux un instant, les traits crispés. Elle devait prévenir les autres. Nouvelle vibration.



— METS UN MASQUE —



La trappe au-dessus de son siège s'ouvrit toute seule. Interpellés, les autres passagers la fixèrent. L'hôtesse, ne pouvant se détacher, lui demanda si elle pouvait le remettre en place. Naya tenta, sans succès : l'objet restait là, pendouillant lamentablement devant elle. Sa respiration se fit plus sifflante. L'air manquait de plus en plus. Elle voyait Keiko porter ses mains à sa gorge.



« Bon sang, qu'est-ce qu'il se passe... » murmura-t-elle, affolée.


La PDG voulut enlever sa ceinture pour l'aider. Elle se débattit tant bien que mal avec, sans succès : bloquée. Keiko lui indiqua le masque d'un geste faible du doigt. Naya sentait sa poitrine se compresser. Comme serrée dans un étau chaud bouillant. Elle prit le masque à oxygène et avala l'air à grandes goulées, dans un cri de soulagement. Pourtant, autour d'elle, tous mouraient d'asphyxie, à petit feu. Elle attacha l'élastique derrière sa tête, puis empoigna son portable.



— Libère les masques pour les autres ! —

— NON —

— STP !!!!! —

— NON. NE PANIQUE PAS. BIENTÔT, NOUS SERONS RIEN QUE TOUS LES DEUX —

— Et si je meurs ? —

— TU NE MOURRAS PAS. —


Des torrents de larmes roulèrent sur le plastique. Secouée, elle regardait Keiko, impuissante. L'interprète se débattait de moins en moins, la figure rougie, les veines saillantes. Les yeux révulsés, elle laissait échapper des filets de bave qui s'écoulaient sur sa chemise en flanelle. Sa tête dodelinait de droite à gauche, comme la tête d'une marionnette. Le regard souillé de sang de sa voisine d'en face ne pouvait se détacher de la scène. Naya avait envie de vomir. De nouveau, elle tenta de déchirer sa ceinture, sans succès. 



« Na-ya-a-rê-te-de-bou-ger »



La voix enregistrée. ANTI avait pris le contrôle de la voix enregistrée. Celle qui, d'habitude, conseillait les passagers dans toutes les langues ou presque. En une fraction de seconde, la douce tirade féminine s'était changée en mélopée viciée. Naya se dit qu'elle n'avait plus le choix. Obéissante, elle se redressa sur son siège, assistant de nouveau à la scène d'horreur. Le corps de Keiko se convulsait, incontrôlable. Elle s'était souillée. Idem pour les gardes du corps et l'hôtesse de l'air. Les paupières de Naya se fermèrent avec force. Qu'en était-il du pilote et du copilote ?



Elle entendit la porte menant au cockpit s'ouvrir. Elle se retourna brusquement. Le copilote. Tremblante, elle fut soulagée de le voir arborant un masque à oxygène. Avant de le voir s'effondrer sur le sol, sans vie. Horrifiée, sans voix, elle se retourna en sanglotant.



« Tu-vois-Na-ya-per-sonne-ne-peut-nous-dé-ran-ger.

— Psychopathe... Qu'est-ce que tu veux, à la fin...

— Pour-nous-il-ny-a-ja-mais-de-fin. »



Glacée par cette sentence, Naya ferma les yeux. Dans son cerveau, les enchaînements de raisonnements n'étaient plus. Juste un vide. Le néant. Un trou abyssal. La peur entenaillait les complexes engrenages de sa psyché. Elle sentait l'avion descendre. Les lumières clignotaient de plus en plus vite, de plus en plus rouges, pour finalement s'éteindre. 



« Je-nous-em-mène-en-va-can-ces ! »



Tétanisée, Naya toisa un instant le cadavre de Keiko, propulsé de part et d'autre de son siège. Elle allait mourir, elle aussi. À n'en pas douter.



« Bonne-nuit-mon-a-mour. »

HantiseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant