Chapitre 6

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Le trajet en convoi avait duré deux jours. Genais avait évité de trop regarder par la fenêtre, n'étant pas très à l'aise avec l'idée de se trouver aussi loin du sol. Deux jours de grincements divers, de ronronnement permanent provenant des moteurs, de cliquetis et de vent qui soufflait à l'extérieur. Le convoi avait fait trois arrêts pendant le trajet, s'arrimant à chaque fois à des pylônes semblables à celui de Salarante. A Riche-Butte, les choses furent différentes. Le quartier étant bâti sur une éminence en pente douce vers l'est, mais dont le nord et le sud était pourvus de falaises. De fait la gare des convois se trouvait au sud, un large bâtiment construit au bord de l'à pic, et duquel une passerelle s'étendait au-dessus du vide. Pas de pylône ici, le convoi pouvait s'arrimer sans gêner les demeures environnantes.

Genais trouva son chemin sans peine, et les gardes eurent la bienveillance de l'orienter vers les Canaux, tout en le mettant en garde contre ce quartier peu sûr. Il n'en avait cure, son seul but était de retrouver Milune et il savait qu'elle était là, en bas, quelque part. Une fois passé le petit mur d'enceinte qui séparait Riche-Butte des Canaux, l'ambiance était radicalement différente en effet. Moins de gardes, moins de beaux vêtements, moins d'anneaux aux oreilles des passants. Il commença à arpenter les rues et pontons qui constituaient le quartier. Très vite il se sentit dépassé, ne sachant par où commencer. Genais entra dans une auberge et montra son pendentif au tenancier ainsi qu'aux serveuses. Rien, bien évidemment. Nouvelle taverne, encore une et puis d'autres. Il se rendit compte qu'il lui serait impossible de passer ainsi dans chaque établissement des Canaux pour demander si quelqu'un avait vu Milune. Mais rien ne pouvait l'arrêter et il continua ainsi tout l'après-midi.

Epuisé, les pieds usés dans ses bottes, Genais prit un rapide repas dans un établissement quelconque des Canaux avant de reprendre sa quête, l'estomac rempli d'une tambouille dont il préférait ne pas connaître le contenu exact. De nuit, les Canaux avaient une ambiance bien plus sombre. Pas d'éclairage public par les candélabres des scientistes. Quelques torches et lampes à huile complétaient la lueur de la lune filtrant entre les toits rapprochés. Genais serra davantage sa canne ; il avait appris à l'utiliser pour se défendre et cela lui avait été utile lors de quelques bagarres de taverne. Genais continua donc sa tournée, persuadé que quelqu'un devait avoir vu Milune. Il se raccrochait à cet espoir...

*

La réseau de salles souterraines semblait rempli de jeunes gens aux grands moyens financiers. Certains avaient la peau matte et foncée des anciennes familles nobles, d'autres des teints plus pâles dénotant une ascendance moins glorieuse. Mais tous arboraient des signes extérieurs de richesse au travers de bijoux étincelants et de vêtements aux matières rares et coûteuses ; et tous avaient au moins quatre anneaux à chaque oreille. A première vue, ils avaient tous entre seize et vingt-deux ans.

Aldevère et Rapinse s'étaient glissés le long des nombreuses volées d'escaliers puis avaient trouvé refuge dans une petite salle à l'entrée de ce qui semblait être un réseau immense au vu de la circulation des jeunes. Quelques petites ouvertures leur permettaient de jeter un oeil à ce qui se passait, et non loin de là une escouade de gardes costauds discutait autour de deux rangées de tables ; ils attendaient leurs protégés qui, un peu plus loin, festoyaient au milieu d'une orgie d'alcool, de nourriture et de drogues diverses. Chanalle était assise sur les genoux d'un garde dont le regard libidineux et les mains aventureuses laissaient augurer de moments nettement plus torrides dans les minutes à venir.

Une musique rapide, soutenue par de gros tambours au son grave, provenait de salles plus éloignées, et on pouvait voir certains jeunes se déhancher lascivement. Les yeux hagards, les pipes diverses, les pastilles passant de main en main, les démarches hasardeuses, tout indiquait une quantité impressionnante de stupéfiants divers et variés. Mais la plus grande question qui taraudait l'esprit d'Aldevère était le pourquoi... Pourquoi des jeunes de si belles familles se retrouvaient ici au fond des Canaux pour faire la fête dans des grottes obscures? Ils avaient à leur disposition les plus belles demeures et les plus grands jardins que l'on puisse rêver. Certes, ces jeunes voulaient probablement faire la fête loin du regard de leurs familles, mais on pouvait facilement les imaginer dans des salons fermés à l'abri des yeux scrutateurs de parents un peu trop attentifs. Et puis une autre question bourdonnait dans son crâne : Aloune était-elle ici? Si il la retrouvait, non seulement Aldevère gagnerait une somme coquette, mais en plus il saurait ce qui attirait ces gens ici. Il échangea à voix basse quelques mots avec Rapinse. Lui aussi semblait quelque peu déboussolé. Mais une chose était sûre : aucun d'eux ne pourrait se fondre dans la masse des fêtards sans se faire remarquer. Et la brochette de gros bras qui ornait les tables près des escaliers était un gage de problèmes graves s'ils venaient à être découverts. Rapinse émit l'idée de se mêler aux gardes du corps pour en apprendre un peu plus, mais il était clair que ceux-ci se connaissaient bien et remarqueraient fatalement l'arrivée d'un nouveau venu un peu trop curieux.

Les Chroniques de Valcène, Tome 1 - Les demoiselles perduesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant