II- New Order

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[ J - 365 ] Octobre 2215

Le 28 Octobre était un jour particulièrement funeste pour nous tous.

Cela faisait précisément cent ans que la Catastrophe avait eu lieu. C'était le jour qui faisait trembler notre mémoire, qui nous ramenait tous vers des souvenirs douloureux signant la mort de nos anciens. Ce 28 octobre, chaque citoyen se leva d'un pas morose, prêt à s'unir pour affronter la dure journée qui l'attendait. Ensemble nous allions commémorer le drame qui avait ébranlé l'Humanité. Alors pour une fois que je pouvais voir nos dirigeants, les Gold, Iron se serrer les coudes, je jubilais déjà intérieurement.

La Cérémonie Noire avait lieu à Toronto sur la place Nationale : Pilowtia qui s'était métamorphosée comme symbole de l'unité de notre ville. Tout était prêt depuis des mois. Retransmise sur la seule chaine de télévision disponible, il était impossible de la louper à moins de le vouloir. Depuis plusieurs semaines les journaux ne parlaient plus que de l'évènement. A longueur de journée, les vendeurs ambulants sur leurs gongoles criaient d'une voix puissante : « Bougies, Bougies » « Allumez une flamme pour nos défunts ! ». Sur les hauts grattes-ciels les messages publicitaires du gouvernement tentaient de nous délester de quelques pièces pour assurer un hommage spectaculaire.

Plantée devant la baie vitrée du dixième étage de ma prison de verre, je voyais la misère sociale chaque jour qui toquait à ma porte. Je m'estimais plus que chanceuse, reconnaissante et savourais mon train de vie loin des tracas des Irons. Différentes classes tentaient de cohabiter. Les conflits étaient si ancrés dans la cité que nul ne pouvait les ignorer. Chaque jour, le fossé entre les Gold en haut de l'échelle sociale et les Iron habitants des bas fonds se faisait plus grand.

L'embrun des vagues faisait claquer la pauvreté dans l'air salé et ces fines gouttelettes me rappelaient chaque jour la chance que j'avais de vivre dans un building aussi haut. Avant les rues étaient de grandes allées de bétons, visibles depuis le ciel quadrillant la ville du Nord au Sud, maintenant elles étaient noyées sous les flots. Des rivières profondes et larges redessinaient la ville et ses contours sinueux.

Je me revoyais quinze ans plus tot collant mes mains grasses contre la même baie vitrée, Imaginant le monde à travers des yeux innocents. Les réponses de ma mère résonnaient toujours à mes oreilles.

- Racontes c'était comment avant ?

- L'automobile avait sa place dans notre monde avant la fonte des glaces et la montée des eaux. Ferme les yeux, imagine de grandes plaines, Maia, avec des engins mécaniques permettant de relier les villes du globe entre elle à la vitesse de l'éclair !

C'était une vie fantasmée qu'elle m'avait transmise, parsemée de bruits de moteurs polluant l'air et de technologies motrices effrayantes. Une sorte d'Atlantide noyée, en somme. Un nouveau moyen de déplacement avait alors immergé. Nous nous étions adaptés au fil des siècles, à ce réchauffement climatique que nous ne pouvions freiner. Le moyen le plus sûr pour se rendre d'un point A à un point B était devenu la pirogue. Silencieuses et autonomes, elles semblaient danser sur les rues aquatiques telles des dééesses des flots. A l'avant, des lanternes multicolores y étaient accrochées. Telles des lucioles maitresses du gouvernail, elles plongeaient la ville dans une ambiance mystique et singulière. La nuit elles faisaient resplendir l'âme de la cité qui battait au rythme des coups de rames.

Le vent se leva brusquement faisant s'échouer les vagues sur les buildings en acier. Cette houle permanente me donnait toujours le tournis ...

- « Maia ! La cérémonie commence » me lança ma mère de l'étage inférieur me sortant illico de ma rêverie passagère.

Dévalant les marches quatre à quatre, je me précipitai dans le salon où je retrouvai ma mère Orphée et ma petite sœur de six ans avachie sur ses genoux, les yeux rivés sur le poste de
télévision. Comme hypnotisée ses yeux étaient immobiles, impossible pour elle de s'en décrocher. L'écran avait traversé les siècles, était devenu un élément rassurant de notre quotidien.

- « Je reviens dans quelques minutes, regardez le début sans moi ! »

- « Tu vas où ? » demanda ma sœur étonnée de me voir emprunter les escaliers pour remonter aussi vite.

- « Laisse-la Sélène ! » Lui répondit doucement ma mère d'un geste de la main.

Les escaliers en bois craquèrent sous mon poids, en haut je tournai à gauche. J'étais la seule de la maison à pénétrer dans mon antre aux souvenirs. Cette pièce qu'on maintenait toujours fermée qu'on oubliait presque. Je détachai la clef pendue à mon cou et ouvris la porte avec mille précautions refermant prudemment celle-ci derrière moi.

Airstronomy ( EN COURS D'EDITION SORTIE 2018)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant