Cauchemar en cuisine

3. Angoisses et surprises

Mon esprit est encore tellement léthargique que je ne suis pas assez vif pour le contredire. Il se dirige déjà vers le grand accueil de bois laqué. Et je n'ose plus contester maintenant.

-Besoin d'aide? me propose la jeune femme, en me tendant la main pour m'aider à me relever.

Surpris par sa proposition si amicale et le sourire qu'elle affiche, je me contente de secouer la tête, avant de me relever tout seul. Je me méfie, je ne vais tout de même pas faire confiance à une jeune femme qui me scrute d'une telle manière.

Je finis par me diriger vers l'accueil, derrière lequel se tient déjà l'homme.

-Votre nom, s'il vous plaît?

-Euh... Julien Racs.

Il l'écrit sur une carte avant de l'observer d'une étrange façon.

-J'ai l'impression de... Non, qu'importe. Pour quelle heure réservez-vous et pour combien de personnes je vous prie?

Je réfléchis un instant. Est-ce que Nico serait prêt à venir ici? De toute façon, je l'y obligerai. Pour une fois.

-Pour 19h30 et pour deux personnes.

Il hoche la tête, inscrit les informations sur sa petite carte et finit par me faire un grand sourire. Je tente de le lui rendre, mais mes pensées semblent ailleurs. Peut-être qu'elles sont fixées sur la facture que nous allons recevoir ce soir. Non, elles sont surtout rivées sur la pression que ce repas va me mettre pour mon avenir professionnel. En fait, moi qui pensais ne rien avoir à craindre aujourd'hui, me voilà qui réalise que tout va finalement se jouer ce soir.

Après un bref silence, nous nous saluons d'une façon assez embarrassée et je me dirige vers la sortie. Je jette un dernier regard à tout ce luxe et cet apparat concentré dans ce lieu, avant d'apercevoir la jeune femme, me fixant avec un petit sourire. Elle a du entendre mon nom, et peut-être qu'elle sait que ça sera moi, «la prochaine victime», comme elle l'a elle-même dit. Non, c'est sûr, elle le sait.

Je quitte alors cet étrange endroit, confus et embarrassé, en tentant de marcher d'un air digne sur le beau tapis rouge déroulé jusqu'à l'extérieur. J'essaie de faire bonne figure. Mais à l'intérieur de moi, je me questionne. Est-ce que c'est Nico, que je dois convaincre de venir manger là, ou est-ce que, au final, c'est moi?

*

-Nicolas, j'ai fait une connerie.

Il lève les yeux de son ordinateur portable et me regarde, interrogateur. Il sait bien que quand je l'appelle par son nom complet, quelque chose ne va pas.

-Qu'est-ce que t'as encore foutu? soupire-t-il.

-J'ai pris une réservation, pour ce soir.

-Tu veux dire qu'on va manger dans un resto?

Je hoche la tête, angoissé.

-Moi je trouve ça cool, je vois pas où est le problème.

-Non, tu comprends pas. C'est pas un resto, c'est le restaurant! je commence à m'emporter. Là où je vais peut-être travailler, au Chant du Cygne!

-Roh mais qu'est-ce qui te gêne là-dedans, explique-moi!

Je lui dis que non seulement on va devoir faire des économies pour les deux prochaines années à venir, mais aussi que si, par hasard, on apprend que je suis la nouvelle recrue, toute l'équipe va immédiatement me refuser, tant je ne ressemble à rien, avec mon corps maigrichon et ma tête de gamin introverti et coincé. Mais je lui explique surtout que ce repas va me mettre un tel coup de pression, que je ne serai même pas sûr de vouloir y remettre les pieds pour y travailler.