Amour Calamiteux

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Une éternelle pleine lune éclairait les fleurs de pêcher que fixait une fillette aux grands yeux couleur de nuit. Sans dévier son attention, elle s'assura que son baluchon fût bien noué en écharpe avant de coincer une pochette de soie entre ses dents. Fin prête, elle grimpa dans l'arbre aussi vite et silencieusement que possible, jouant de son agilité avec la force de l'habitude et profitant de la nyctalopie propre à son peuple. Une fois à califourchon sur une branche basse, elle libéra sa pochette et entreprit d'y collecter les fleurs à sa portée.

Elle était tout à sa tâche quand la voix colérique d'une femme lui glaça les sangs.

— Hey ! Toi ! Descends tout de suite, petite garce !

L'interpellée arrondit des yeux, mais garda son calme et obtempéra en un bond gracieux pour tenter de fuir avec son butin. Hélas, à peine se réceptionna-t-elle sur l'épais matelas de neige qu'une poigne de gel lui broya l'épaule.

— Aïe ! hurla la petite fille tout en se débattant.

La propriétaire la retourna vers elle d'une traction aussi brusque que puissante, offrant son visage déformé par la rage et la douleur à sa prisonnière terrifiée. Une violente gifle cingla la joue de la voleuse qui, sonnée, et la lèvre inférieure ouverte, tomba à la renverse sur la poudreuse.

— Pourquoi tu me voles mes fleurs de pêcher, hein ? éructa la femme. Parce que j'n'ai pas de bébé, comme elle ?

— Calmez-vous, Madame ! Il y a un fantôme dans les environs ! la supplia l'enfant tout en s'efforçant de maîtriser sa peur malgré la douleur.

— Menteuse ! C'est lui qui t'a envoyée ! T'es la môme qu'il a eue avec l'autre et ils t'ont envoyée me narguer ! Si j'avais eu le choix, jamais je ne serais tombée amoureuse ! brailla-t-elle de toutes ses forces.

La voix se brisa, puis la femme éclata en sanglots, ses larmes se transformant en autant de flocons sous le froid impitoyable de Jing. Elle chuta à genoux, les mains dans ce coton givré, pour pleurer sans retenue. L'enfant sous le choc cessa de trembler. Les cris de la misérable, ses pleurs glacés qui frappaient la neige, malgré la violence, tous lui serraient le cœur.

La conscience rongée par la culpabilité de ces émotions interdites, rugir son chagrin était le seul moyen d'extirper un poison à la source intarissable. Or, l'enfant savait cela aussi tristement futile que pitoyable dans ce paysage aussi stérile qu'indifférent.

Elle se rapprocha avec précaution, bien que la femme ne fût plus une menace à ses yeux, mais une semblable : une âme en peine.

— Chut, tout va bien aller, ça va passer... murmura-t-elle avec incertitude malgré sa bonne intention.

Elle-même aimerait tant que quelqu'un lui dise sincèrement ces mots-là...

Elle tendit les bras pour entourer les épaules de la malheureuse qui, sans cesser de pleurer, s'agrippa à elle comme à une branche en pleine tempête. Les doigts tremblants de la femme s'entremêlèrent aux longs cheveux noirs de l'enfant.

— Je ne voulais pas... pas tomber amoureuse... hoqueta la femme contre le cou tendre de la petite qui lissait sa chevelure en silence. J'ai tellement mal... Je voudrais tellement que tout s'arrête... gémit-elle.

— Je sais...

Combien de fois avait-elle eu envie de mourir ou de raser sa maison pour que tout s'arrête... Puis, elle avait eu l'idée d'une alternative : partir.

Soudain, à cet instant, son instinct perçut un faible bruissement, un changement dans l'air comme s'il venait de se refroidir un peu plus. Elle coula un regard par-dessus l'épaule de la femme et vit un sombre nuage se ruer droit vers son dos.

La mélodie du lotus et de la fleur de prunier - 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant