Chapitre 19 (Gwydion)

5.6K 618 20
                                    

Dès le début, je le savais pourtant ! Je grognais, j'étais en rage. Je n'aurais jamais dû me laisser prendre par mes sentiments. Ce n'était qu'un piège ! Un vulgaire piège. Et d'ailleurs, qui me disait qu'elle fut vierge ! Qui me disait qu'elle aurait réellement été prostituée une fois que j'eus le dos tourné ? Qui me disait simplement qu'elle n'était pas elle-même associée à cette mascarade. Alors oui, en cet instant, elle aussi je la haïssais. Car elle m'avait arraché à mes rêves, à mes espoirs. Jamais je n'irai à Rome, je le savais à présent. J'aurais dû la laisser se faire fouetter après tout, jusqu'à ce qu'elle s'évanouisse ou que son pauvre cœur lâche. J'aurais dû la laisser se faire violenter et partir sans même m'en soucier une seule seconde.

Mais ç'aurait été cracher sur ce que j'étais, laisser pourrir une seconde fois les cadavres de ma mère et de mes sœurs, encore trop jeunes qu'elles étaient d'avoir eu à vivre cette horreur que je lui avais épargnée. J'avais entendu leurs cris, leurs pleurs et puis plus rien. Non pas parce qu'ils avaient cessé ou même abrégé leur agonie, mais parce que je n'avais résisté aux coups que l'on me portait à ce moment-là.

Alors des coups oui, depuis j'en avais reçu et plus souvent que je ne pouvais en supporter. Laissé pour mort par deux fois au cours de ma vie, je m'étais toujours relevé. Et cette fois encore je me relevai et frappai celui qui aura tenté de me mettre à terre tout le long de ce combat que l'on m'imposait. À la place de son visage, je vis Caius et je le frappai encore. Mon corps était tendu, j'étais prêt à mordre et à arracher sa chair s'il venait à s'approcher de nouveau. S'il osait se relever, ce serait la dernière. Toute ma haine se portait sur lui à cet instant. Et vous la plèbe ! Vous vouliez du sang, vous vouliez de la souffrance. Abreuvez-vous !

J'en étais au dernier de cette cinquième nuit qui ne voulait pas mourir, elle non plus. Avait-elle pour espoir que jamais le matin ne se lève ? Comme j'avais eu cet espoir d'échapper à tout cela ? Celui-là fut plus sage, il resta au sol plutôt que de tenter un dernier acte insensé qui aurait causé sa mort. Les précédents n'avaient pas eu cette chance. Cela criait, cela applaudissait, cela hurlait et l'or des paris remportés coulait à flots comme le vin coulera tout autant le reste de la nuit. De cette dernière nuit. Et ensuite ? Reprendre la route, croiser de nouveau le regard gris bleuté de cette femme qui m'avait conduit là ? Thétis... rien que son nom m'évoquait tant de la pitié que de la haine, tant le désir de son corps que celui de l'en protéger.

Depuis ce soir où je m'étais fait prendre au piège, on ne m'avait pas permis de la revoir. Oh je me doutais que ce devait être pour me tenir en alerte, me faire craindre pour sa vie et cette satanée vertu ou bien même m'empêcher de tenter de fuir et de la laisser à son si « terrible sort ». Le pire étant que cela avait très bien fonctionné.

Ma tension retomba comme je tombai à genou sur le sable de la cour, une fois de plus épuisé. Un peu plus chaque soir. Mais je devais tenir. Il arriverait bien un jour où Caius se lasserait et que nous puissions reprendre la route. Ne ne pouvions rester indéfiniment ici. C'était en tout cas ce qu'Amasis avait toujours affirmé et, étrangement, j'avais l'impression qu'il savait de quoi il parlait.

Lui aussi on le faisait se battre, mais jamais contre moi, j'aimais mieux ainsi. Je ne me sentais pas de taille et qui plus est, j'aurais détesté avoir à tenter de tuer un ami. Pire encore, d'y parvenir.

L'on annonça la fin des combats afin que la plus grande salle du domaine s'ouvre aux invités voulant fêter cela en dépensant déjà une partie de leurs gains ici. Un plan bien rodé, on attirait les lanistes peu scrupuleux et avides de richesses plutôt que de gloire, on invitait les joueurs invétérés de tout horizon, les blasés qui ne savaient plus ou se repaître d'émotions plus fortes que le sexe, accessoirement on leur pompait un peu d'or ensuite, à festoyer jusqu'à point d'heure lorsque tout était fini. Lorsque les âmes damnées des perdants s'étaient perdues quelque part, entre ici et ce qui leur servirait de dernière demeure.

Et nous, vainqueurs du jour, laissez-moi deviner ce qui nous était réservé ? Amasis semblait prendre cela mieux que moi. Contrairement à moi, il n'était pas esclave. Il avait volontairement signé un contrat le liant à Caius. Son but ? L'or. Tout simplement. Et je devinai que derrière cela, il devait lui aussi avoir un rêve à accomplir, un rêve qui se paie très cher. Mais il ne m'en avait encore rien dit. Au lieu de cela, il retrouva sa petite esclave et s'en alla la caresser installé sur quelques coussins et sans se préoccuper de tout ce monde qui en vint également à se laisser aller. Nuit d'orgie en perspective. Il semblait habitué à ce genre de cirque. Pas moi.

L'on me servit à boire puis l'on remplit de nouveau ce verre que je vidai consécutivement deux fois supplémentaires et d'une traite. Le vin avait ce don de tout faire oublier, parait-il, alors voyons si cela au moins ne fut pas un mensonge. La douleur, les souvenirs, la rancœur, le dégoût. Voyons ce qui restera une fois saoul.

Mais ce n'était pas ici que je comptais en tester tous les effets, je me dirigeai alors vers la sortie, mais Caius me barra la route. Il avait l'air satisfait et il y avait de quoi. Tandis que je ne pouvais que lui cracher silencieusement et du regard ce que je pensais de lui.

– Ne part pas de suite Callidromos. Tu as droit à ta récompense toi aussi.

– Sans façon, merci.

– Dois-je comprendre que tu la laisserais au premier venu ?

Son regard fut alors captivé par quelque chose ou plutôt quelqu'un derrière moi. Je me tournai ayant quelques doutes sur qui il s'obstinait à me faire voir. Thétis, qui d'autre ? Une fois de plus on l'aura attifée telle une... bref. Elle semblait avoir été bien traitée, intimidée par ce qui se déroulait autour d'elle. Elle restait contre l'un des murs et se dérobait dès que l'on s'approchait. Farouche.

Bon sang, l'alcool aura des effets pires encore que ceux escomptés et cette robe qui ne cachait que trop peu sa peau. Un homme s'en approcha, elle s'écarta, mais il insista, toucha sa hanche nue puis vint à se montrer possessif lorsqu'elle se refusa. C'en était trop. Non l'alcool ne me faisait pas oublier la rage que j'avais en moi, il la ravivait. Et après tout ce que j'avais subi pour elle, pour sa si précieuse vertu, personne n'y touchera. Elle était à moi !

La muse de CallidromosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant