Chapitre 40, Earwen

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La chaleur est étouffante et l'eau qui tombe depuis des jours renforce l'humidité de l'air, l'alourdit. Mes cheveux et ma cape collent à ma peau, je cherche difficilement mon souffle. Les bois sous la pluie semblent plus verts, plus jolis. Ils sont enveloppés d'un fin brouillard qui ne refroidit pas pour autant les lieux. Mes pieds tapent dans les fréquentes flaques d'eau au niveau du sol, éclaboussant ce qu'il y a tout autour de moi, les gerbes d'eau se perdant dans les fougères épaisses et nombreuses. Je passe une main dans mes cheveux, glissant mes doigts sous la capuche pour empêcher qu'elle ne colle à mon front. De plus en plus vite, mes pas me poussent vers la lisière de la forêt, hors du feuillage verdoyant qui me protège. Mon temps est compté, je le sens. "Elle" ne me laissera pas filer comme ça.

Tout en courant, je sens que l'épais morceau de tissu protégeant mon identité retombe sur mes épaules, laissant apparaître mes mèches blanches qui volent. Qu'importe, s'ils me tuent au moins n'aurais-je pas à en assassiner d'autres. Je n'aurais pas à regarder droit dans les yeux sans les reconnaître des jeunes de mon âge, des pères de famille, des jeunes femmes pour les tuer de sang froid.

Même de loin, j'entends les gens qui s'affairent dans la plaine face à la forêt. Je distingue des drapeaux de couleur vive qui flottent à travers le feuillage intense. En plissant les yeux un petit peu, je vois aussi les tentes de même coloris dressées entre les combattants qui s'entraînent. Ça y'est, j'arrive. Déjà l'herbe change, devient plus claire qu'à l'intérieur, les fougères sont remplacées par des touffes d'herbes éparses, parfois jaunes.

Des chevaux sont attachés à un rondin de bois, certains sont déjà harnachés, seulement gardés par deux hommes fluets qui discutent entre eux. Très vite, ma main s'empare d'une bride qui pendouille dans le vide et j'attire un cheval vers moi puis grimpe en le lançant au galop. Il démarre au quart de tour, faisant se redresser ses gardiens qui se mettent à me crier dessus. Sans m'arrêter, j'apparais au milieu du champ d'entraînement, cherchant du regard celui que je suis venu voir.

Les gens me regardent sans réagir, visiblement surpris. Mais alors que je m'arrête et tente de me repérer autour de moi, ils commencent à s'échauffer, me reconnaissent sans doute. Sans leur laisser le temps de se diriger vers moi, je m'élance une deuxième fois vers l'autre bout du camp, vers une tente imposante, qui ressort au milieu des autres petites. Je saute par dessus les quelques personnes face à moi qui se recroquevillent en criant et accélère encore. Mes cheveux claquent dans mon dos, mes yeux bicolores sont fixés sur mon objectif. Prévenir, prévenir et encore prévenir. Seuls quelques dizaines mètres me séparent de cette tente.

Puis la chute. Mon cheval qui se cabre sous l'assaut de quelques hommes, me faisant tomber de surprise. Je lâche prise et m'écroule au sol en me rattrapant sur les mains. Je regarde l'herbe humide s'obscurcir tandis que mes assaillants s'approchent. L'un d'entre eux commence à se baisser et je me retourne très vite en sortant instinctivement mon poignard de ma manche gauche. Je le pointe vers lui et il recule en tressaillant. On ne rigole pas avec une Méanile. Tous hésitent quelques instants, quelques précieuses et minuscules secondes qui me permettent de me mettre à genoux et de reculer. Je me redresse lentement puis sans rien comprendre me retrouve étalée une nouvelle fois au sol avec un poids qui me retient. De rage, je crie et me débat, tentant de me retourner pour me libérer de cet intrus. Il ne bouge pas mais je le sens faiblir sous mes assauts. Un autre lui vient en aide et tout deux me relèvent en me tenant fermement. Mais pas assez. D'un coup, j'envoie valser mon arme dans l'épaule du premier qui hurle et me balance dans la foule. Une foule qui a grossi et qui est menaçante. L'individu que je viens de blesser me regarde froidement et sourit:

- Allez y.. Tuez la..

Il n'a pas besoin d'en dire plus. Les hommes et femmes qui m'entourent se jettent sur moi pendant que je me défends. Je tente d'atteindre le donneur d'ordre en donnant ici et là quelques droites bien placées. Il recule tandis que j'avance tant bien que mal. A chaque fois que je menace de l'attraper, d'autres personnes m'en empêchent et m'envoient eux aussi de bons coups. Mes forces ne me lâchent pas, mais mon corps subit trop d'assauts. Je tourne la tête vers la tente qui vient de s'entrouvrir et crie:

Maudite, tome 2, Les armées du MalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant