Interlude 1 : Utopie

Depuis le début
                                    

— Oh, arrête avec tes solutions radicales ! Si j'étais méchant, je dirais que tu n'aimes pas les Terriens, mais que tu réagis comme eux.

La boutade fit rire les huit, Edan compris. Maën reprit :

— Nous avons quitté Erdorin il y a longtemps, d'accord. La planète a évolué dans un sens qui nous paraît absurde, je veux bien l'admettre. Ses habitants sont vénaux comme des Siyani, agressifs comme des Karlan, ont des idées politiques encore plus stupides que les mondes les plus libertaires de la Frontière et, de façon générale, se comportent comme des étudiants d'université – avec autant de sexe, mais la culpabilité en sus. Mais c'est notre planète-mère ! Nous y sommes attachés depuis toujours. Tu crois vraiment que c'est un hasard si nos six Mondes Premiers ont à peu près la même taille, la même vitesse de rotation, la même durée d'année solaire ? Et je suis prêt à parier qu'un des premiers endroits qu'ont visité nos ancêtres, une fois les moteurs hyperluminiques mis au point, ce fut ici. J'ai lu des chroniques qui parlaient de la vie sur Erdorin il y a plus de neuf mille ans.

— Moui, admettons. Mais il serait peut-être temps d'arrêter la nostalgie et de passer à autre chose, non ? Essayé, pas pu... À la limite, on ramasse quelques habitants, comme tu as si bien su le faire il y a trois siècles, et on rentre chez nous.

Edan faisait allusion à une des frasques du clan Salion – plus particulièrement de Maën lui-même, qui avait utilisé des vaisseaux de transports militaires, alors qu'il avait précisément la charge de la défense de leurs mondes, pour déplacer près d'un million de Terriens, principalement des peuples aborigènes américains et australiens. L'initiative avait fait un certain bruit et lui avait coûté sa place au sein du conseil dirigeant leur nation.

Alors que Maën se préparait à une réponse cinglante et, très probablement, blessante, Arinjaël – connue à Johannesburg sous le nom de Rina Rinkalazi, tour-opérateur – enlaça Edan, sa peau brune offrant un contraste saisissant avec le teint pâle. Les deux avaient souvent des points communs, surtout quand il s'agissait de contrer les idées de Maën, mais pas dans ce cas.

— Tsk, Edan. Ne te fais pas plus méchant que tu ne l'es !

— Je suis réaliste, Rina : les Terriens ont déjà failli s'anéantir avec leurs armes nucléaires ; ils en ont d'ailleurs toujours assez pour le faire au moins trois fois. Et comme le dit Maën, ils ne semblent pas avoir la moindre idée de comment gérer leur écosphère. Leurs industries empoisonnent le monde et ils s'en foutent.

— Alors...

— Oui, je connais ton idée de tutelle militaire et laisse-moi te dire qu'ils ne l'accepteront jamais. Autant essayer de contrôler un monde de la Frontière : eux au moins n'ont pas un genre culturel entier dédié à l'extermination de menaces extra-planétaires.

Rina haussa les épaules, mais elle pouvait très bien imaginer les ambassadeurs de son peuple, arrivant dans des navettes lenticulaires en annonçant « nous venons en paix », pour être accueillis par des missiles nucléaires et des avions de chasse pilotés par le président des États-Unis en personne.

Aethar et Wedir sortirent de leur silence pour dire, presque en même temps :

— Si je peux me permettre...

Arthur Wahlen et Walter Messmann étaient connus à Berlin pour leur réseau de restaurants et de boîtes de nuit branchés et même sous leurs identités d'emprunt, les deux amants avaient une apparence similaire, avec des traits doux, un teint mat et des cheveux bruns frisés, ainsi qu'un petit côté fusionnel qui, transparaissait régulièrement ainsi. Un éclat de rire plus tard, Aethar reprit :

— Il y a d'autres méthodes. Nous ne sommes pas ici en avant-garde militaire et nous avons développé des réseaux, de l'influence, des ressources.

Progressions - Échos de l'Arbre-MondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant