UN AVENIR SQUELETTIQUE

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Le temps de cligner les yeux et paf ! Tout fuit ! Tout s'enfuit ! Tout s'en fut ! L'on se demande pourquoi, mais l'on ne récolte que ce que l'on sème.J'étais un homme jeune, beau, riche, bien bâti, charismatique, sexy, attirant, tendre, mystérieux, rebelle, galant, silencieux...là j'arrête ! Ne pensez pas que c'est de la vantardise pure et dure. Loin de moi cette idée. Ce sont seulement les avis des femmes de mon harem. Ou plutôt c'étaient. Car aujourd'hui, il ne me reste plus de miettes de ma belle vie d'antan. Certes, « le savon ne se lave pas lui-même » d'autant plus que ce n'est pas au poulet d'apprécier sa sauce, mais comme je suis accoutumé à le dire, nul ne peut prétendre te connaître plus que toi-même. C'est la raison pour laquelle je vais les rejoindre dans « jeune, riche et beau ».

Je l'étais en effet. Et vous ne pouvez imaginer le degré de ma souffrance lorsque je me mire dans une glace et que je contemple douloureusement : ma figure desséchée que tout critère de beauté a déserté, mes yeux globuleux comme ceux d'un crapaud ensommeillé, cernés avec d'innombrables poches dues à la fatigue et au manque de sommeil. Ce dernier me fuit comme un pestiféré lépreux et cède la place à des souvenirs si terrorisants qu'ils rendraient apoplectique le plus terrible des sergents de l'armée. Mais assez parlé ! Je m'en vais vous décrire ma vie de jadis. Une vie pleine de désirs, de plaisirs, de bonheurs. Je la croquai, la mordait, la léchai, la buvait. Ma richesse, mon statut, ma beauté n'avaient pas de pareils. Les femmes rabâchaient mon nom au vent, à l'eau, à l'air, aux montagnes jalouses et même au soleil qui, dépité, dardait chaudement sur moi des regards noirs et brûlants. Les femmes, j'en avais beaucoup, trop. Un troupeau, un village, un harem. De toutes les tailles et de toutes les couleurs. J'en ai connu des très belles, des belles, des mignonnes, de jolies, des regardables et même des laides. J'en ai connu des naines, des petites, des moyennes, des grosses et des grasses, des mastodontes et même des baleines. J'aimai dilapider mon argent, le jeter dans les cuvettes des W.C. J'adorai organiser des fêtes chaque jour. Des fêtes où étaient servis des repas pantagruéliques, où des boissons de toutes sortes coulaient à flots. C'étaient des soirées où il faisait vraiment bon d'y assister.

A mon père qui me mettait en garde contre les subites sautes d'humeur du sort, je répondais par des haussements d'épaules et continuais à siroter les plaisirs terrestres à grandes lampées. Enfin...jusqu'au jour où je me retrouvai sans sou. Plus rien, rien de chez rien ! Tout de chez tout s'était évaporé ! Mes amis disparurent, mes femmes m'abandonnèrent, ma maison se vida de ses servants. Même mon chien me quitta.

En toute franchise, je ne saurai vous expliquer comment cela arriva. Je n'en sais rien moi-même. Mais toujours est-il que tout ce que je peux dire présentement c'est : ''tu avais raison, papa''. Malheureusement, il est parti rejoindre l'Omniscient, une semaine avant ma déchéance. Cela m'apaise d'une part de savoir qu'il n'a pas été témoin de ma dégringolade. Puisse le Très-Miséricordieux l'agréer !
Et voilà, dans quelques secondes, je vais finir le chapitre du livre de ma vie. J'espère que vous saurez que « quiconque prend le chemin de je m'en fous, risque fort de se retrouver au village de si je savais ». Pour survivre, je suis obligé de mendier au coin de la rue. Mon Dieu ! Qui l'eût cru ? Je n'ai rien de mieux à faire. Rien que de penser au passé et à mon avenir squelettique.



L'Avenir SquelettiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant