Point final

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"Les arbres ont désormais perdus toutes leurs feuilles et ne sont recouverts que d'une epaisse surface blanche et glaciale."
Voila ce que je dirai pour décrire le paysage s'offrant devant mes yeux pourtant alors que j'attend la devant ce bâtiment que je connais si bien les seuls mots sortant de ma bouche sont bien moins charmants:
-Putain ça caille!
Je remue les mains et souffle sur mes poings fermés en esperant capter une seconde de chaleur.
Alors que je tente tant bien que mal d'augmenter ma température corporelle un son étrange et pourtant familier se fait entendre.
Une sonnerie que je connais par coeur, celle de mon lycée.
Ce simple tintement de cloche me rappelle tellement de souvenirs, les crises de rire avec Marion, toutes les conneries que j'ai pu faire et toutes les conversations passionnées que j'ai pu avoir avec ma prof d'art plastique.
Tout ça c'était il y a 8 ans.
La lycéenne que j'étais est devenue une femme heureuse et épanouie. Je suis maintenant animatrice 2D, en d'autres termes je créé des dessins animés et c'est la seule chose que je voudrais faire dans le futur tellement j'aime ce travail.
C'est grâce à une amie de madame Tane que j'ai eu ce boulot, je me rappelle encore du moment ou je lui ai dit que j'aimerai travailler dans l'animation, elle a hurlé
"Je sais ce qu'il te faut!" en agitant ses bras en l'air puis a directement appelé son amie son amie pour qu'elle me propose un entretien.
J'ai démarré stagiaire ou je suis devenue une experte des cafés et des photocopies avant de monter en grade et faire aujourd'hui ce qui me plait.
En y réfléchissant bien ça ne sert à rien d'attendre debout, je m'assois donc sur un banc qui n'est pas recouvert de neige (miracle!).
Il est situé juste à côté d'un arbre que j'affectionne particulièrement, c'est la que je passais la plupart de mes heures de perm avec mes amis.
Sous cet arbre à refaire le monde...
Mon petit coeur de nostalgique murmure:
"C'était la bonne époque!"
Et je ne lui donnerait pas tort.
Une série de vibrations émanant de ma poche droite me sort de mes rêveries.
"Hey, oublies pas de ramener des bières demain!"
Un message de Marion qui (Dieu merci) a abandonné l'usage du langage sms pour apprendre à écrire normalement. Grandir a aussi des points positifs.
En même temps elle est devenue institutrice en maternelle alors autant éviter aux enfants l'apprentissage d'une écriture illisible.
J'avais presque oublié, demain elle organise sa pendaison de crémaillère vu qu'elle a enfin trouvé un appart sympa à côté de son lieu de travail.
Je commence à écrire une réponse lorsqu'un ado visiblement inquiet vient m'accoster.
-Heu bonjour madame excusez moi vous avez l'heure s'il vous plait?!
Il sautille sur place et en perd son pantalon, je met tout mon coeur à l'ouvrage pour éviter de rire de sa dégaine.
-Il est 18:03, et c'est mademoiselle.
Ma réponse semble l'inquiéter il remonte son pantalon qui avait commencé à bien laisser voir son caleçon et fonce à toute vitesse vers la gare.
Il hurle en courant "merci mademoiselle!!!".
Et la scène me fait partir dans un fou rire mémorable, cet air perdu et le fait d'être à la bourre, c'est moi à son âge!
Alors que mes rires diminuent je sens une main chaleureuse se poser sur mon épaule.
Encore un ado en retard?
Je me tourne vers la main mystère pour remarquer que non c'est une adulte que je connais bien.
Elle a le sourire aux lèvres et me demande amusée:
-Je peux savoir pourquoi un ado au look totalement improbable viens de courir en hurlant "merci mademoiselle"?
-Je viens de lui vendre de la beuh, à très bon prix!
Elle rigole au vu de ma réponse idiote.
-Je croyais qu'animatrice 2D ça payait plutôt bien..
-Oui mais je sors avec une prof de lycée qui a un appétit monstrueux, c'est difficile de boucler les fins de mois quant on a acheté 10kg de chocolat!
Elle proteste.
-C'est un coup bas, ça ne m'est arrivé qu'une fois quant je devais corriger le bac de français et que je m'y suis mise au dernier moment!
-Et en plus tu ne reconnais pas tes torts, je ne te félicite pas.
-Dit la fille qui vend de la drogue à des lycéens...
Je lui répond en ponctuant ma phrase d'un clin d'oeil:
-J'aime le danger.
Elle prend ma main et m'entraîne vers elle, nos corps se joignent et nous accomplissont notre rituel du câlin du soir.
Elle m'embrasse délicatement et rit.
Son petit sourire en coin m'indique qu'elle manigance quelque chose.
-Et bien si tu aimes le danger j'ai préparé un truc qui devrait te plaire.
Je la vois tourner la tête de droite à gauche, quelques ados discutent mais à part ça pas un chat.
-Suis moi!
Elle marche en crabe en direction de l'arrière du lycée camouflé par la forêt.
Son allure ressemble à celle du héro d'un mauvais film d'espionnage ce qui m'incite fortement à la suivre pour la voir se ridiculiser.
Je marche donc derrière elle amusée.
Nous quittons de plus en plus la ville pour entrer dans cette forêt absolument splendide avec les arbres recouverts de leur habit d'hiver.
Nous continuons la marche et je pense reconnaître cette trajectoire, non...elle va pas oser?
Je l'observe courant presque vers sa destination "on y est presque" me dit-elle.
Nous arrivons devant un immense grillage et Emily semble très fière de cette vision, elle hurle "Tada!"
-Euh...ouah. Superbe grillage.
-T'as perdu ton âme d'enfant...
-Je te rappelle que c'est toi la plus vieille madame 32 ans.
-Ouch, touchée bébé 26 ans! Du coup je suppose que tu ne veux pas voir ce que je voulais te montrer ok très bien on repart.
Elle feint un air vexé mais je la connais, intérieurement elle jubile en imaginant que je verrai bientôt sa "surprise".
-Ah il y a donc quelque chose derrière le grillage?
-Ravie que tu le demandes suis moi pour le savoir!
Elle marche quelques mètres et finit par passer dans un trou minuscule au milieu des fils de fer.
Elle arrive de l'autre côté et me tend sa main.
-Tu ne penses quant même pas que je vais passer dans ce trou ridicule?
-Je ne savais pas que je sortais avec une princesse!
-Ahah très drôle!
-Aller fais pas ta chochotte.
J'imite donc ses gestes avec un peu plus de difficulté et beaucoup moins de fierté.
-Tu vois c'était pas compliqué!
Elle me sourit et continue son chemin, venant de n'importe qui d'autre cette remarque m'aurait énervée mais comme c'est elle, ça passe.
Emily ouvre la seule porte du grand mur blanc se dressant devant nous et je reconnais les lieux.
"Mon petit coin de paradis" la ou j'allais me réfugier parfois au lycée. Je n'étais pas revenue ici depuis le bac, force est de constater que l'endroit n'a presque pas changé.
-La route de madame est avancée!
Mon éclaireur personnel trace sa route et entre dans le bâtiment, je suis bien obligée de la suivre.
Nous traversons une salle remplie d'objets en tout genre et je l'entend pester "toujours aussi bordélique ce lycée! "
Une fois sortie de la pièce de stockage nous arrivons dans un couloir qui n'est pas allumé (normal après tout les cours sont tous finis) nous tentons de nous éclairer avec les lampes de nos téléphones.
-Par là-bas c'est la salle d'art, à gauche c'était les salles de langues...
Je redécouvre ce lieu que je n'ai pas visité depuis tant d'années.
Cette bâtisse que je pensais connaître par coeur me paraît soudain bien mystérieuse.
Emily prend ma main et se met à courir comme une folle en direction du grand hall, la ou sont normalement installés des centaines d'élèves.
Elle prend mon crâne entre ses doigts et m'embrasse langoureusement.
Après plusieurs minutes intenses elle caresse ma joue et s'éloigne.
-C'est juste que lorsque tu étais au lycée et qu'on devait se cacher j'ai du rêver des centaines de fois de t'embrasser ici...Au milieu de la foule.
Sa confession me fait chaud au coeur j'en tremble même légèrement.
-C'est trop mignon...
Je repense à cette époque, nous nous étions mises ensemble à la fin de mon année de seconde puis pendant deux ans on a du cacher notre relation aux yeux de tous. Enfin après que j'ai eu mon bac elle a changé de lycée pour enseigner dans une autre école plus près de mon lieu de travail.
Je fixe son regard plein de tendresse, c'est le même depuis désormais 10 ans de relation,
putain 10 ans...
Elle me prend dans ses bras et me sussure à l'oreille "J'ai une dernière chose à te montrer. C'est pour ça que je t'ai donné rendez-vous ici."
Elle se retire délicatement et me guide au premier étage, je la suis quelques dizaines de mètres avant qu'elle s'arrête devant une salle puis sorte une clé d'une de ses poches arrières.
-Je l'ai gardé lorsque je suis partie de ce lycée, honnêtement je crois que c'est totalement illégal.
Je rigole et alors quelle ouvre la porte je comprends que cette salle était la sienne.
La salle 108.
La disposition des tables a changée mais le reste est similaire, tout est comme il y a 10 ans.
Je viens me positionner dans l'encadrement de la porte et Emily quant à elle se met face à moi dans la salle de cours.
Notre vision n'est guidée que par la lumière du soir et les quelques lampadaires qu'on peut apercevoir.
Être ici maintenant c'est comme avoir vaincu tous ces moments ou je ne pensais qu'à elle tandis qu'Emily ne pouvait pas être avec moi, maintenant tout est bien réel.
Emily quant à elle me paraît incroyablement nerveuse et semble chercher ses mots en regardant tout autour d'elle.
Elle prend une lance un torrent de paroles.
-Alex, tu te doutes bien que si je t'ai fait venir dans cette salle aujourd'hui c'est pas pour rien. Cette salle 108 c'est la ou j'ai donné des cours pendant trois ans et c'est aussi ici que j'ai vu celle qui partage ma vie pour la première fois, toi.
Elle se mord les lèvres signe montrant qu'elle est stressée.
-Tu étais arrivée à la bourre et avait été on ne peut plus insolente. N'importe quel prof t'aurait détesté mais moi je suis tombée amoureuse de toi. Tu sais aussi bien que moi que ça a été dur de s'avouer nos sentiments. Si bien que maintenant je ne peux pas imaginer un jour de ma vie sans toi. Tu ne t'en es sûrement pas rendue compte mais aujourd'hui c'est un anniversaire un peu particulier.
En effet il y a dix ans jour je t'ai vue pour la première fois.
Ici dans cette salle, j'ai donc choisi cet endroit pour te faire une réclamation...un peu spéciale.
Emily plante son regard dans le mien et de fines larmes coulent sur ses joues. Elle a du mal à articuler et tremble comme une feuille morte. Elle se met à genoux devant moi et sort une petite boîte de sa poche.
Est ce que c'est ce que je crois?
Des larmes me montent au yeux à une vitesse folle.
-Alex. Merci à toi de me supporter depuis 10 ans déjà.
Elle ouvre la boîte où est placé une magnifique bague originale, fine prenant la forme d'une fleur couverte de diamants.
-Veux-tu m'épouser?
Je suis désormais dans le même état que ma douce qui pleure à chaude larme.
Oh mon dieu mon cerveau est totalement embrouillé mes jambes ont la consistance de la guimauve et mes yeux trempés doivent me faire ressembler à un poisson rouge malade.
Elle essuie ses larmes naissantes d'un revers de la manche même si elle ne peut pas cacher ses émotions.
-Si la bague te plait pas je peux toujours la changer.
-Elle est magnifique...
J'essuie à mon tour mes larmes en tentant de garder un peu de dignité même si c'est peine perdue.
-Emily, je t'aime.
-Est ce que ça veut dire oui? Parce que c'est juste que j'ai mal au genou et puis je stresse à mort la ça fait des semaines entières que je me prépare et-
-C'est oui, abrutie.
-Moi aussi je t'aime.
Elle se lève et j'embrasse celle que j'appellerai bientôt ma femme.

FIN

Carpe DiemOù les histoires vivent. Découvrez maintenant