Partie 2 - Illusions d'amour - Chapitre 6

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— Je suis désolé. Je... D'habitude, je ne suis pas du genre à embrasser les gens comme ça.

— Sauf que c'est moi qui t'ai embrassé, rétorqua Aymeric d'un ton péremptoire.

Dos tourné, Julien essayait d'ignorer le corps tout proche de son ami, ce corps qui suscitait chez lui tout autant de désir que de crainte. Il se sentait à la fois honteux et fiévreux. Prisonnier d'un de ces paradoxes émotionnels que seul l'être humain peut expérimenter, le trouble faisait palpiter son cœur à mille à l'heure, et la nausée lui soulevait l'estomac.

Pire encore, ses jambes fourmillaient, sa vue se brouillait, sa tête bourdonnait. Les griffes de la lassitude s'étaient abattues sur ses épaules. Il était sûr que sa main aurait tremblé s'il l'avait levée à l'horizontale devant son visage. Une curieuse faiblesse s'était emparée de lui depuis quelques minutes. Rêvait-il toujours ? Jamais il n'avait été dans un tel état de confusion morale et d'alanguissement physique après un simple baiser. Ou plutôt deux. Qu'importe ! Pareil débordement, c'était bon pour les romances à deux sous ! Celles où les femmes sont transportées en ressentant des ondes de chaleurs dans leur « ventre » et de l'humidité « entre leurs cuisses » au moindre effleurement alors que, à leur place, il aurait déjà consulté pour une MST. Celles où les gens s'envoient en l'air non-stop pendant une heure, deux heures, quatre heures, si ce n'est toute une nuit, alors qu'une érection aussi longue relèverait plus d'un grave priapisme que d'une preuve de virilité... S'il suffisait de se suçoter la langue pour se pâmer et manquer de tomber dans les pommes, les salles de consultations ne désempliraient plus, et la pratique du sexe serait sérieusement compromise.

En clair, et pour citer Shakespeare, il y avait quelque chose de pourri dans l'empire du Danemark. Il espérait juste que cela n'incluait pas de tentacules...

— Tu veux recommencer ? le taquina Aymeric.

— Je ne crois pas que ce soit une bonne idée.

Après tout, il avait songé à le tuer et, même si le baiser avait lavé ce violent impératif, il se le reprochait. Comment Aymeric pouvait-il agir comme si rien ne s'était passé, comme s'il ne l'avait pas menacé avec un couteau ? Et lui, comment aurait-il pu se conduire comme s'il ne l'avait pas fait ?

— Julien, nous n'avons pas l'âge d'avoir de bonnes idées.

L'intéressé claqua de la langue.

— J'étais armé, rappela-t-il à regret.

— Plus maintenant. Et je ne t'en veux pas, Julien. Je te l'ai dit : la solitude rend les gens fous.

Le gardien du phare trouva agréable de l'entendre prononcer son prénom de sa voix douce, presque caressante et tentatrice. La sensation de ses lèvres sur les siennes lui revint avec netteté. Peut-être s'inquiétait-il pour rien. Peut-être qu'Aymeric avait raison... Il avait envie de se retourner complètement et de le prendre à nouveau dans ses bras. Le serrer. L'embrasser. Se perdre dans les boucles sombres de ses cheveux. Parcourir son corps de ses mains. L'entendre gémir contre lui lorsque sa bouche jouerait sur ses points les plus sensibles. Mais il se retint au dernier moment et fit la grimace. Quelque chose – il osait à peine le nommer « instinct », même s'il devait reconnaître qu'il s'agissait bien de cela – lui susurrait qu'il s'en mordrait les doigts jusqu'aux métacarpes et qu'il s'étoufferait avec.

Face à son silence obstiné, Aymeric fit un pas en avant et vint poser une main délicate sur son épaule. Julien tressaillit. Il se dégagea d'un mouvement du bras. Des lucioles dansèrent devant ses yeux ; la tête lui tournait à nouveau. Pourquoi se sentait-il si bizarre alors que l'étudiant n'avait fait que l'effleurer, à travers ses habits, en prime ?

Le roi des tréfondsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant