Chapitre 1

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Il n'arrivait plus à se souvenir depuis combien de temps il avait fait cette rencontre. Cinq ans ? Six ans ? Depuis, la vie avait bien changé dans le Nouvel Empire Mondial. Dans sa petite cellule qui lui servait d'appartement, Charlie Bradbury laissait son esprit s'échapper dans bien des rêves. Vivre sous terre, dans huit mètres carrés n'était pas une vie enviable. Alors il s'évadait. Il rêvait de champs, de verdure, de forêt. Tous ces magnifiques paysages perdus à jamais, qu'il ne reverrait certainement plus de son vivant. Comme bien souvent, il pensait à ce vieillard qu'il avait rencontré lors de sa visite à Denver, quelques mois avant la nuit des ténèbres. Il ne l'avait plus revu depuis. Pourtant, il avait tant de questions à lui poser. Il fut subitement interrompu dans son échappée onirique. Le parlophone de la pièce s'était mis à beugler des ordres.

« -Citoyen 435879-CB. Vous êtes attendu en salle de rééducation. »

Tel un robot, Charlie se leva de sa couchette. Bien qu'il avait horreur de ces séances, il n'avait pas le choix. Soit il se pliait, soit il était banni de la cité, rejeté à la surface ; et personne n'aurait pu évaluer ses chances de survie. Depuis cette nuit de décembre 2042, la surface de la terre avait été déclarée inhabitable. Tout le monde s'était enfouis sous terre, dans de grandes cités souterraines. Comme si... Il chassa cette pensée de suite de son esprit. C'étaient justement ce type de réflexions qui lui avaient valu ces séances de rééducation.

Il sortit de son espace de vie, et constata, comme à son habitude qu'un drone voguait non loin de l'entrée. Il l'attendait, pour le conduire directement dans cette salle où la torture irait bon train pendant deux bonnes heures. Pas question de faire un pas de travers, le drone le rapporterait directement aux autorités. Il quitta rapidement les quartiers d'habitation des citoyens ordinaires, les gens comme lui, pour se diriger vers le centre de rééducation comportementale. Ce centre tournait à plein régime. Vivre sous terre comportait énormément de problèmes, et bon nombre de citoyens éprouvaient de grandes difficultés d'adaptation. Le but premier de ce centre était donc une aide pour tous ceux qui souffraient de vivre dans cet espace réduit, loin de la lumière du jour. Mais pas pour Charlie. Pour lui, ce centre signifiait la lobotomie de son esprit, des séances de torture pour le rendre malléable, corvéable à merci. Un citoyen modèle qui agit sans se poser de questions.

Il arriva devant l'aile destinée aux cas comme le sien. L'hôtesse l'accueillit, sans esquisser le moindre sourire. Elle semblait ne pas apprécier Charlie. En réalité, elle n'aimait aucun des visiteurs de l'aile. Charlie l'avait bien compris : pour elle, les visiteurs n'étaient que des rebuts, des citoyens récalcitrants qui ne voyaient pas les bienfaits du Nouvel Ordre. Ils ne méritaient que l'exil à la surface, et avec les radiations, ne vivraient pas bien longtemps.

« Bonjour Citoyen 43879-CB. Vous êtes attendu en salle 8. Installez-vous, votre superviseur ne tardera pas à arriver. »

Elle tourna directement la tête, pour s'occuper de diverses tâches administratives, ne s'occupant plus du tout de Charlie. De toute façon, le drone signalerait la moindre incartade.

Charlie s'installa bien confortablement sur ce grand fauteuil. Il savait de toute façon que le confort ne serait que de courte durée, dès que le superviseur serait rentré, la torture mentale commencerait. Il ne dut pas attendre bien longtemps : quelques secondes après s'être assis, le superviseur entra dans la pièce. Charlie ne l'aimait pas. Petit, fluet, et un regard noir, caché par des petites lunettes rondes. Son sourire affichait un sadisme particulier, comme s'il prenait plaisir à labourer le crâne de ses victimes. Il n'esquissa même pas un bonjour à son visiteur.

« Alors, citoyen, notre rapport indique que votre comportement ne s'est pas amélioré de manière significative, et que votre puce présente à nouveau des dysfonctionnements. Nous trouvons cela de plus en plus inquiétant. Que pouvez-vous me dire de plus depuis notre dernière rencontre ? »

Charlie n'en savait rien. Il avait beau répéter encore et toujours ce que le superviseur voulait entendre, il ne pouvait garder sa langue en poche une fois dehors. Oui, les corporations étaient bienfaisantes. Oui, il ne fallait surtout pas les remettre en question. Oui, la puce implantée était là pour notre bien.

« Je ne sais pas quoi vous dire, Monsieur. Je sais très bien que sans les corporations je ne serai plus de ce monde, et qu'elles m'ont donné une nouvelle chance en m'acceptant sous terre. »

Pourtant, il savait bien que ce n'était pas vrai. Contrairement au reste des citoyens, il se rappelait. Qu'un tri énorme avait été effectué lorsque l'appel retentit dans les lunettes de toute la population. Il se rappelle avoir vu ses parents refoulés à l'entrée, car officiellement trop âgés. Toute personne pouvant remettre en cause l'ordre avait été écartée. Comme ce gars qui avait eu le malheur d'avoir un livre qu'il n'avait pas dissimulé, objet pourtant interdit.

Le superviseur fronça les sourcils.

« Je ne suis pas convaincu par ton discours citoyen. C'est ce que tu m'as dit mot pour mot la semaine dernière. Et je vois dans mon rapport que tu as encore déclamé des discours étranges. Notamment dans la cantine du secteur C5. Je cite : « Vous ne trouvez pas normal que personne ne remette les informations en cause ? Que des personnes soient arrêtées pour des méfaits qui sont impossibles à commettre ? Pensez-vous que l'on nous dit la vérité ? » Tu vois, tu ne peux rien nous cacher. Nous allons cependant te donner une dernière chance. »

Charlie se crispa sur son fauteuil, et comme il s'y attendait, des boucles de métal encerclèrent ses bras et jambes, l'immobilisant sur cet instrument. Entravé de la sorte, il ne pouvait plus faire le moindre mouvement.

Le superviseur sembla satisfait, et se dirigea vers une petite armoire. Il y tira une seringue, y versa un liquide dont Charlie n'arrivait pas à voir le nom, puis se tourna vers sa victime.

« Nous voulons être sûrs que cet entretien soit le dernier. C'est pourquoi, nous allons changer de méthode. »

Il enfonça l'aiguille dans le bras de Charlie qui plongea dans l'inconscience.

...et il vous délivreraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant