Un garçon, deux rangées plus loin, ne faisait rien. Je le fixai longuement. Il finit par relever la tête, mal à l'aise, et griffonner quelque chose sur son cahier pour donner le change.

Je notais tout, sans bouger. Leur panique m'intéressait presque plus que leur travail. On ne forge pas d'autonomie dans le confort.

Le temps s'étira. Vers la fin de l'heure, quelques groupes semblaient vaguement organisés, d'autres s'étaient contentés de tourner en rond. Je refermai mon carnet et me levai.

C'est tout pour aujourd'hui. Vous savez ce qu'il vous reste à faire. Je veux vos projets sur mon bureau vendredi prochain, à huit heures précises. Ni avant, ni après.

Ils quittèrent la salle en silence, moins bruyants qu'à leur arrivée. J'avais gagné au moins ça, leur crainte.

Le dernier claquement de porte résonna dans la salle, laissant derrière lui une odeur de café froid et de nervosité. J'expirai lentement. Le silence avait quelque chose de reposant, mais aussi d'accablant. J'empilai les copies sur le bureau, ces amas d'à-peu-près, de formulations creuses, de connaissances bâclées. Ils voulaient un diplôme, mais combien d'entre eux méritaient réellement d'y prétendre ?

Je passai la main sur mon front, comme pour chasser cette fatigue sourde qui s'installait déjà, alors que la journée ne faisait que commencer. La matinée n'était qu'un prélude, et pourtant je sentais déjà mon agacement s'aiguiser.

Un regard vers la fenêtre : les silhouettes pressées des étudiants en bas, leurs rires trop légers, leur inconscience qui m'irritait presque autant qu'elle m'enviait.

Je rangeai mes affaires, verrouillai la salle et pris la direction de la cafétéria. Les couloirs étaient animés, saturés de voix, mais je gardai ce pas rapide qui décourageait toute tentative de conversation.

En entrant, je ne vis pas immédiatement Tessa. Tant mieux. J'avais besoin d'un instant seule, le temps de me servir un plateau. Une salade quelconque, un café trop amer, le strict nécessaire.

Je choisis une table isolée, dos au mur, comme toujours. Mes yeux parcouraient machinalement la salle, sans chercher personne en particulier. Jusqu'à ce que je la voie entrer, rayonnante, bavardant déjà avec quelqu'un. Tessa.

Un souffle imperceptible m'échappa. Évidemment.

Je plantai ma fourchette dans la salade, sans conviction. Les conversations autour de moi formaient un brouhaha étouffant, une masse sonore dont je me serais bien passée. Pourtant, quand je relevai les yeux, mon regard croisa celui de Tessa. Elle venait de m'apercevoir.

Elle se fraya un chemin entre les tables, son plateau en équilibre d'une main, l'autre se levant pour saluer une connaissance au passage. Tout en elle respirait une aisance naturelle que je n'avais jamais eue. Quand elle s'assit en face de moi, j'eus presque envie de me lever pour fuir cette énergie trop vive.

Tu fais peur à tes étudiants dès le matin, lança-t-elle, les yeux pétillant d'amusement. J'ai croisé deux deuxièmes années dans le couloir... Ils avaient l'air de sortir d'un interrogatoire.

Je haussai une épaule, ramenant ma tasse à mes lèvres.

S'ils sont terrorisés, c'est probablement parce qu'ils n'ont rien préparé.

Ou parce que tu as un talent particulier pour les déstabiliser, répondit-elle en piquant un morceau de pain.

Je détournai les yeux vers mon plateau.

Je ne suis pas là pour les rassurer, dis-je froidement.

Tessa se pencha légèrement, un sourire en coin.

L'hypothèse interdite Where stories live. Discover now