L'hypothèse interdite

~ Eden ~

Je relève les yeux vers lui. Son regard est ferme mais pas accusateur. Je sais qu'il a raison. Je sais qu'il a toujours raison sur ça. Hier il n'était pas là je me suis bien lâché, ce soir ça ne sera pas possible.

— Promis, deux verres.

Il me lâche enfin le verre. La première gorgée me réchauffe de l'intérieur. Les discussions autour reprennent, la musique monte un peu. Mon corps a envie de bouger. Alors je laisse le comptoir derrière moi, me mêle à la petite foule sur la piste improvisée.

Je ferme les yeux, laisse les basses guider mes mouvements. Pendant quelques minutes, je ne pense plus à rien. Ni à la copie froissée, ni à son regard, ni aux mots que je n'ai pas dits. Juste la musique, et le rythme qui pulse jusque dans ma poitrine.

Quand je reviens au bar, les joues un peu rouges, Marc m'accueille avec un sourire amusé.

— Un autre !

Il remplit le deuxième verre, mais le garde un instant dans sa main.

— Le dernier. Je ne devrais même pas le service.

— Et pourquoi cela ?

— Parce que je t'ai vu finir les fonds de verre de deux ou trois clients.

Je grimace, prise sur le fait.

— C'était rien... juste...

— Eden.

Je souffle, lève les mains en signe de reddition.

— Ok, ok. C'était rien de grave.

Il finit par me le donner, mais son regard me dit qu'il garde le compte.

Je fais tourner le deuxième verre entre mes mains, m'amusant à voir la lumière se briser dans le liquide. Marc me raconte une anecdote sur un client régulier qui croyait avoir gagné à un jeu à gratter... avant de réaliser que le ticket n'était même pas le sien. Je ris, la tête légèrement penchée, déjà un peu plus légère qu'en arrivant.

Et c'est là qu'une main se pose sur mon bras. Pas brusque, mais ferme.

Je me fige.

En relevant les yeux, je croise un regard que je n'attendais pas à trouver ici. Madame Blake. Debout à côté de moi, ses cheveux sombres retombant sur ses épaules, ses yeux brillants d'un éclat que je n'arrive pas à lire.

— Eden.

Mon prénom glisse entre ses lèvres comme une évidence.

Je cligne des yeux, cherche mes mots.

— Qu'est-ce que... qu'est-ce que vous faites ici ?

Elle incline légèrement la tête, un sourire fin, presque imperceptible.

— Je pourrais vous poser la même question.

Marc, lui, recule d'un pas, comprenant que la conversation ne lui appartient pas. Mais je sens son regard derrière le comptoir, prêt à intervenir si besoin.

— Je... je bois un verre, répondis-je en haussant les épaules. Rien d'illégal, non ?

— Non. Pas illégal. Juste... surprenant.

Je sens qu'elle me scrute, comme si elle cherchait à deviner exactement combien de gorgées j'ai prises ce soir.

— Et vous ? dis-je, ma voix plus sèche que je l'aurais voulu.

— Je connaissais l'endroit... enfin, quelqu'un m'a proposé de venir. Je ne pensais pas vous y croiser.

Son ton est calme, mais ses yeux restent ancrés aux miens. La musique autour devient presque un bourdonnement.