CHAPITRE 32

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-Pedro-

Enfin rentrée chez moi, je dépose les clés sur la table. La première chose que j'entends, ce sont les accords familiers de Where Is My Mind, grattés avec soin à la guitare électrique. C'était Lewis.
Ces derniers temps, il restait enfermé dans sa chambre, ne sortant que pour manger.
Mon frère me manquait, celui qui regardait des films nuls avec moi jusqu'au bout de la nuit quand l'insomnie nous rongeait, celui qui riait à toutes mes blagues pourries, et surtout celui qui voyait le monde avec des yeux pleins de curiosité et de lumière.

Depuis la sortie de Levi de prison, il n'était plus le même. Et je comprenais. Tout ce qu'il avait enfoui refaisait surface. Mais malgré ça... il me manquait terriblement.

Je frappe doucement à la porte de mon frère. Aussitôt, j'entends sa musique s'arrêter et ses fredonnements se taire. Il vient m'ouvrir. Comme je m'y attendais : ses yeux sont cernés, sa chambre est sens dessus dessous et l'air est chargé d'une odeur étouffante.

— T'as une sale mine Lewis, lançai-je avec un demi-sourire.

Il hausse les épaules, puis se laisse tomber sur son lit sans un mot. Je ferme la porte derrière moi, hésite un instant, puis m'assieds à côté de lui.

— Écoute, je sais que c'est dur, commençai-je d'une voix fatiguée. Levi est dehors maintenant. C'est bizarre, hein ? J'arrive pas à me dire que c'est fini, que c'est vraiment terminé. Et en même temps, même si tout ça me fout les tripes à l'envers... je crois que ça va aller.

Je le regarde, surpris par la lueur de calme dans ses yeux.
— Même si ça nous ramène à... tu sais, à tout ce que le père d'Ariana nous a fait subir, à la folie de notre frère, à ce qu'on a traversé, tout ça...

Je m'interrompt, cherchant mes mots.

— On est encore debout, Lewis. Et tant qu'on l'est, on avance. Même à moitié brisés.

Je hoche la tête, m'assurant qu'il me comprenne bien. Mais je sais aussi que cette paix fragile est toujours sur le fil du rasoir. Pedro se redresse et me regarde, une lueur de réflexion dans ses yeux.

— T'as raison... Mais tu sais, Levi dehors, ça nous rappelle juste que tout ça, cette torture, ça nous a détruits, au fond. Ça nous a bouffés à l'intérieur, même quand on croyait qu'on tiendrait bon.

Je le fixe, les mots pesant lourdement dans l'air. Je sais ce qu'il veut dire. Même quand on a cru que ça ne nous atteindrait pas, qu'on tiendrait sans casser, la vérité, c'est que... rien n'était pareil après.

— Oui, je comprends, soupira-t-il. Même quand on a pensé qu'on pouvait s'en sortir indemnes, ça reste là, enfoui. Ça fait de nous des fantômes parfois. On est pas les mêmes qu'avant.

Je le laisse parler, sentant que chaque mot pèse sur son âme, mais aussi sur la mienne. On a survécu, certes. Mais à quel prix ? Et si la torture nous avait laissé plus que des cicatrices physiques ? Si elle avait fissuré quelque chose de plus profond ?

— Peut-être qu'on ne sera jamais vraiment les mêmes, Lewis. Et peut-être qu'on devrait juste apprendre à vivre avec. Pas oublier, mais vivre.

Il sait que j'ai raison. On ne pourra jamais effacer ça. Mais peut-être qu'on pourra apprendre à avancer, malgré tout. Surtout maintenant qu'elle est morte. Maintenant que toute sa famille est morte.

Les mots de Pedro résonnent dans le silence de la chambre. Levi baisse lentement la tête, et une douleur sourde lui serre la gorge. Puis, sans crier gare, il craque. Une larme roule sur sa joue, puis une autre, et une autre encore, jusqu'à ce que ses épaules tremblent sous les sanglots qu'il tente désespérément de retenir. Il ne se sent plus fort, plus invincible. Il ne se sent plus comme avant.

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