Installée dans les tribunes, je regarde le match avec anxiété. Les Huskies ne mènent pas et l'équipe semble totalement perdue. La sirène annonce la fin de la seconde période, et tous les joueurs quittent la patinoire, sauf Jude, qui traîne encore sur la glace. Il lève la tête vers nous. Même avec son casque, j'aperçois la détresse dans ses yeux, et ça me brise le cœur.
— Quand je vois la tronche mon frère, j'ai peur pour la suite, soupire Tyler.
— Pourquoi ? demandé-je, curieuse.
— Jude est assez contradictoire comme mec. Il est super déterminé, mais il peut baisser les bras très vite. Et là, j'ai peur qu'il n'arrive pas à se ressaisir.
L'idée que Jude puisse abandonner me serre le ventre. J'ai passé assez de temps avec lui pour savoir que c'est un rêveur, et qu'il tient à emmener l'équipe le plus loin possible. Une utopie un peu folle quand on connaît leurs résultats de l'année dernière, qui ne les placent pas vraiment parmi les favoris du prochain championnat.
— Et si tu allais le voir dans les vestiaires ? proposé-je.
— Hein ? Tu veux que le coach me fasse traverser le stade d'un coup de pied au cul ? Je ne fais pas partie de l'équipe, j'ai pas le droit d'entrée dans les vestiaires.
— Toi, non, mais elle, si, intervient Joyce.
Surprise, mes yeux s'arrondissent. Pourquoi aurais-je ce privilège ? Voyant que je ne réagis pas, Joyce bondit sur son siège, me faisant face avec enthousiasme.
— Le coach l'a dit lors de votre rencontre, il veut que tu sois un membre à part entière de l'équipe le temps de ta collaboration. Si tu dis que c'est pour remotiver les joueurs, il te laissera passer.
— Ah, mais oui ! s'exclame Tyler.
— Quoi ? Non, non, c'est hors de question !
Arrête tes conneries, t'en meurs d'envie ! râle ma petite voix.
Dire qu'elle n'a pas fait le moindre commentaire depuis le début du match, j'avais presque oublié son existence.
— Allez, s'il te plaît ! insiste Tyler. Tu dis à Jude que t'es la seule à pouvoir venir et que tu viens pour moi. Je te dis ce qu'il faut lui dire.
— Que c'est un boulet ! déclare Joyce.
— Exactement ! Hein ? Non, surtout pas ça, corrige Tyler. Dis-lui qu'ils ont pris la seconde période à la légère, mais qu'il doit juste se reconcentrer. Dis-lui qu'on croit en lui. Ça devrait le rebooster.
Mes deux amis me fixent avec insistance et, n'ayant pas la moindre réaction, Joyce me pousse de mon siège. Debout, en plein milieu des gradins, tous les regards se braquent sur moi. J'ai envie de disparaître.
Bouge-toi, la mi-temps ne dure pas éternellement !
Ce rappel à l'ordre me réveille, car dans le fond, je n'ai aucune envie d'abandonner Jude. Je descends rapidement les marches vers le tunnel menant aux vestiaires. L'air y est glacé, et l'obscurité me ralentit.
Des éclats de voix résonnent au fur et à mesure que j'avance. Alors que j'approche de la porte, un casque vole et heurte le mur avec une telle violence que je sursaute, laissant échapper un cri.
— Cassy.
En tournant la tête, je me retrouve nez à nez avec Jude. Son visage est marqué par une tristesse si profonde que mon cœur se serre instantanément.
— Qu'est-ce que tu fais ici ? demande-t-il.
— Je... Je voulais savoir comment tu allais.
Il soupire, visiblement abattu, et laisse tomber ses épaules contre le mur derrière lui.
— J'ai honte... J'me sens pas à ma place avec eux. J'suis en train de tout faire foirer.
Sa main passe dans ses cheveux, et il lève la tête, fixant le plafond comme s'il y cherchait des réponses. Pendant un instant, tout semble suspendu, figé dans le temps. Quand il baisse de nouveau les yeux vers moi, l'émotion qu'ils reflètent me coupe le souffle. Sans réfléchir, je m'approche et pose mes mains sur son bras. La chaleur qui émane de lui m'envahit, douce et enveloppante, comme un sortilège. Je devrais probablement reculer, mais je n'y arrive pas. Il y a quelque chose dans son regard qui me fait me sentir à ma place.
Le silence s'installe, épais, et nous nous observons comme si le monde autour n'existait plus. Ses iris dorés me captivent, mais j'arrive quand même à murmurer :
— Ce n'est pas de ta faute...
Ses prunelles brillent d'une nouvelle intensité. Une intensité dans laquelle je me sens spéciale, presque belle. Il me trouble tellement que j'en perds mes repères, même mon souffle se fait hésitant. Sa main remonte lentement vers mon visage, ses doigts frôlent ma joue avec une délicatesse qui me fait frémir.
— Cassy... Tu es adorable, vraiment. Mais tu es dans les tribunes, tu vois le match et...
— Et il n'est pas encore perdu ! Vous vous êtes relâchés après la première période, mais il n'y a qu'un point d'écart. Même si vous ne gagnez pas, battez-vous pour égaliser. Revenez avec la même énergie qu'au début. Ton frère croit en toi. Et moi aussi...
Mes propres mots me frappent, et ma voix s'éteint brusquement. Jude fait un pas en avant, réduisant presque à néant la distance entre nos corps. Ses doigts effleurent ma mâchoire, puis attrapent une mèche de mes cheveux qu'il enroule autour de son index. Mon cœur s'emballe comme une bille de flipper, impossible à calmer, alors que je me perds dans ses yeux.
Je me demande quel goût ont ses lèvres...
Ma petite voix intérieure résonne, et je me surprends à me poser la même question. Je pourrais me hisser sur la pointe des pieds, combler cet espace infime, mais mon corps reste figé contre le sien.
— Cass, déglutit-il.
Les mots me manquent, coincés dans ma gorge. Je fixe sa bouche, hypnotisée. Il est nerveux, je le sens, mais jamais il ne m'a semblé aussi beau qu'en cet instant.
— Reste avec moi après le match, s'il te plaît...
— Je...
La porte des vestiaires s'ouvre brusquement et le coach apparaît. Instinctivement, nous nous écartons l'un de l'autre. Le regard perçant de l'entraîneur me fait regretter d'être là, mais je ne trouve rien d'autre à faire qu'un sourire maladroit.
— Mademoiselle Lawson ? lance le coach, d'un ton autoritaire.
— Monsieur Stewart.
Parfois ton niveau social me donne envie d'me foutre en l'air...
Il faut toujours qu'elle se manifeste quand le malaise est à son paroxysme. Et bien sûr, quand j'ai besoin d'elle, elle fait la morte.
— Veuillez regagner les tribunes, s'il vous plaît, reprend le coach d'un ton sec.
— Oui, Monsieur.
Alors que je m'éloigne, Jude attrape doucement mon bras, me forçant à lui faire face. Mon regard dérive, mal à l'aise, sur les visages autour de nous avant de revenir vers lui.
— Reste, s'il te plaît, insiste-t-il.
— Promis.
Il esquisse un léger sourire, mais je ne peux m'empêcher de me concentrer sur ses doigts qui glissent lentement le long de ma manche. Leur chaleur m'enveloppe un instant, avant que le contact ne s'efface, laissant place à une froideur désagréable. Cette rupture, aussi douce qu'elle soit, me frappe comme un électrochoc, me ramenant brutalement à la réalité. Je tourne les talons, fuyant les regards curieux braqués sur nous.
D'un pas aussi naturel que possible, je m'éloigne vers la patinoire, mais une nouvelle pensée me traverse l'esprit : je dois maintenant annoncer à Joyce et Tyler que je ne passerai pas le reste de la soirée avec eux.

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THE ICE KINGS
RomanceTHE ICE KINGS Jude, hockeyeur en quête de rédemption après une rupture, se consacre entièrement à son sport, prêt à tout pour redorer l'image de son équipe. Cassy, étudiante en journalisme, rêve d'une vie universitaire sans barrières mais peine à s'...