Dans le vestiaire, l'ambiance bat son plein, mais je reste à l'écart, enfermé dans ma bulle. Mon esprit flotte ailleurs, refusant de se mêler à l'énergie collective. Ce moment volé avec Cassy, juste avant le match, était tout ce dont j'avais besoin. C'était simple, presque banal, mais c'est ce genre de petites choses qui manquent à mon quotidien. Des instants qui m'éloignent du sport et du stress qu'il m'apporte. Mais maintenant, il faut que...
— Arrête de planer !
Comme s'il lisait dans mes pensées, Lewis termine ma phrase à voix haute, d'un ton brusque. Voilà, le stress dont je parlais. Celui qui nous transforme, qui nous rend parfois insupportables, même entre nous.
— Laisse-le et laisse-moi gagner mon pari par la même occasion, intervient Marlon.
En relevant les yeux vers lui, je remarque que, comme à son habitude, il déambule en slip chaussette. Les mains sur les hanches, il m'offre un petit sourire forcé, qui veut dire beaucoup trop de choses pour qu'il me plaise.
— J'peux savoir de quel pari tu parles ?
— Rien du tout, ment Marlon, aussi peu crédible qu'un enfant pris la main dans le sac.
— Salut, désolé pour le retard !
Ezra coupe la conversation en entrant dans le vestiaire comme une tornade. Pressé, il fonce vers nous et jette son sac sur le banc avant d'ouvrir son casier à la volée.
— Ça devient une habitude, faut qu'on t'achète une montre à Noël ? ironise Lewis.
— Ma batterie de voiture est morte, le bus est tombé en panne, j'ai fait les dix derniers kilomètres en stop, réplique Ezra, essoufflé.
— T'aurais dû nous envoyer un message, y en a un de nous qui serait venu te chercher, interviens-je
— Ouais... Sur le coup j'y ai pas pensé.
Plongé dans son sac, Ezra ne nous calcule même pas, fouillant jusqu'à en jeter ses affaires sur les casiers.
— J'vous sens tendu dans ce vestiaire, j'suis à deux doigts de débarquer avec de la sauge pour virer vos mauvaises ondes, précise Marlon.
— Vu que ça purifie, tu devrais essayer de la fumer, rétorque Lewis, moqueur.
Sans surprise, Marlon lui adresse un doigt d'honneur, ce qui fait éclater de rire Lewis, qui se détend tout en se préparant.
— J'ai pas de scotch pour mes jambières, soupire Ezra en se laissant tomber sur le banc. J'oublie toujours un truc. Le coach va me suspendre, je pourrais même pas jouer cette saison...
— C'est pas grave ça, on va te prêter le nôtre, le rassuré-je.
Je lui tends mon rouleau de scotch, qu'il accepte d'un signe de tête avant de se changer. Peu à peu, les blagues s'essoufflent, et le silence prend place dans le vestiaire. Chacun se concentre, termine de se préparer, les pensées tournées vers le match.
Une fois que nous sommes prêts, le coach fait son entrée pour le brief habituel.
— Les gars, ce soir, c'est le premier match de l'année. Amical ou pas, je veux que les Huskies montrent les crocs. Soyez redoutables. Ce match, c'est la revanche des Huskies, et je veux que tout le monde parle de vous avant même le début du championnat. Ok ?
— Oui, Coach, crions-nous en chœur.
— Super ! Tous en ligne dans le couloir, on va bientôt rejoindre la glace.
Il frappe dans ses mains pour nous encourager, et l'agitation reprend aussitôt dans le vestiaire. Avant de quitter la pièce, je rassemble toute l'équipe. On se regroupe au centre, poings unis, prêts à lancer notre cri de guerre :
— Huskies !
Je prends une grande inspiration et ajoute pour motiver les gars :
— Comme l'a dit le coach, on donne tout ce qu'on a. Je crois en vous, les gars !
J'attends que chacun de mes coéquipiers passe la porte avant de sortir à mon tour, aux côtés de Lewis. Discrètement, il me glisse :
— T'es vraiment à fond dans ton rôle de capitaine, toi.
— Je déteste ça, avoué-je en soufflant. J'aime pas l'idée de parler comme si j'étais au-dessus d'eux. Ça me met mal à l'aise.
— Arrête tes bêtises, réplique-t-il en rigolant. C'est pas une question de supériorité, c'est juste de la motivation. C'est ce qu'on attend de toi, et tu le fais bien.
Pour accompagner ses mots, il me balance une tape dans le dos, tellement bourrine qu'elle aurait pu me décoller un poumon.
— Au fait, reprends-je. Le pari, tu sais de quoi il s'agit ?
— Oh, ça ? Il parie que tu seras avec Cassy avant les fêtes. Ezra, lui, dit que ce sera officiel dès Thanksgiving, me confie-t-il
— Les enfoirés ! Et toi, t'as pas parié ?
— J'y pense, parce que je suis sûr de gagner.
Étonné, je m'arrête net, plaquant ma main contre son torse pour le bloquer.
— Qu'est-ce que tu veux dire par là ?
— Ça veut dire que t'as déjà mis tes bonnes résolutions à la poubelle, même si tu cherches encore à te convaincre du contraire. Il y a des regards qui ne trompent pas, mon pote. T'embrasseras cette fille bien avant Thanksgiving. Tiens, d'ailleurs, j'vais miser là-dessus ! Hé, Marlon !
Sans attendre ma réaction, il trottine vers Marlon et Ezra, prêt à annoncer son entrée dans le pari. Je reste planté là, abasourdi d'apprendre que je suis devenu l'objet de leur petit divertissement.
Mais je chasse vite cette histoire de mon esprit lorsque nous sommes appelés sur la glace. Un rapide tour de terrain plus tard, je m'arrête brusquement au centre. Les yeux fixés sur les tribunes, j'essaie de percer les projecteurs éblouissants pour repérer Cassy. Dès que je la vois, aux côtés de mon frère et de Chucky, un sourire étire mes lèvres. Alors que ceux qui l'accompagnent sont plongés dans une discussion animée, nos regards se croisent. Elle me renvoie aussitôt mon sourire, sans hésitation.
Un coup de sifflet me ramène à la réalité. Fin de l'instant, retour au jeu. On salue les joueurs de Boston avant de se mettre en position. Le temps semble s'étirer, et j'en profite pour vider mon esprit. Autour de moi, tout se brouille. Il ne reste plus que la glace, et l'adrénaline qui monte. Le coup de sifflet retentit. Les hostilités commencent.

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THE ICE KINGS
RomanceTHE ICE KINGS Jude, hockeyeur en quête de rédemption après une rupture, se consacre entièrement à son sport, prêt à tout pour redorer l'image de son équipe. Cassy, étudiante en journalisme, rêve d'une vie universitaire sans barrières mais peine à s'...