7# JUDE - ESPÈCE DE COUILLE !

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Après quelque temps de concertation avec l'équipe, il m'a fallu deux jours de plus avant d'envoyer un message à Cassy. Bien que le projet me tienne à cœur, je n'avais aucune envie de m'y investir au-delà des photos. Malheureusement, le coach en a décidé autrement.

Installé sur le lit de Marlon, j'attends qu'il finisse de se préparer. Peu importe la sortie, il en fait toujours des tonnes. C'est la troisième fois qu'il se recoiffe devant le miroir et la cinquième qu'il se parfume. Entre laque et parfum, il suffirait d'une allumette pour faire exploser la pièce, voire la maison entière.

— Mec, on doit juste retrouver Cassy à la bibliothèque.

— On sait jamais, si j'croise une jolie nana entre deux... Tu devrais faire un effort, imagines que tu rencontres la femme de ta vie aujourd'hui, suppose-t-il.

— Y a peu de chance. J'ai perdu suffisamment de temps avec Charleen. Cette année, c'est le hockey et rien d'autre, aucune n'arrivera à me distraire.

Pour cet amoureux de l'amour, mes paroles résonnent comme un crime. Le problème, c'est qu'il n'est pas convaincu par mes propos et sa bouche en cul de poule ne laisse aucune place au doute.

— C'est quoi cette tête ?

— Bah... J'en mettrais bien une couille à couper que l'amour va te tomber dessus, mais j'suis pas prêt à devenir unibousliste.

— Je sais que c'est inconcevable pour toi qu'on veuille fuir l'amour, mais vraiment, je veux penser à ma carrière avant tout. On a encore de la chance d'être dans l'équipe cette année, on doit tout donner.

— Tu donnais tout l'année dernière même en étant sur le banc. Après, tu le verras par toi-même, on va tous rencontrer l'amour.

Je lève les yeux au ciel et secoue la tête. Si mon cas risque d'être compliqué, avec Lewis, c'est peine perdue. Notre défenseur collectionne les aventures d'un soir et ne compte pas s'arrêter de sitôt.

Cette conversation terminée, nous quittons la chambre pour rejoindre le rez-de-chaussée. Alors que la majorité de mes coéquipiers joue à la console, je constate qu'Ezra n'est pas revenu. Petit à petit, il s'efface, comme s'il cherchait à disparaître. Nous sommes tellement habitués à son absence que nous remarquons ses retards aux entraînements que lorsque le coach s'égosille. Cette situation est l'une des raisons pour lesquelles je refuse de me remettre avec quelqu'un. Quand j'étais avec Charleen, je me suis éloigné de mes potes pour passer tout mon temps avec elle. Si avec Marlon et Lewis rien n'a changé, avec Ezra, les séquelles sont bien visibles.


En quelques minutes, nous arrivons aux abords de la bibliothèque. Marlon se gare sur Whitney Road, et nous finissons à pied. Alors que nous approchons du bâtiment, Marlon exprime sa joie.

— J'ai tellement hâte !

— Je regrette déjà d'être venu...

L'envie de donner vie à ce projet est bien là, même si je n'avais pas prévu de m'y engager à ce point. Mais voilà que cette rencontre prend une tournure inattendue, et l'issue commence à m'inquiéter.

— Tu comptes prendre racine sur le trottoir jusqu'à la saint glinglin ? intervient Marlon.

Plongé dans mes pensées, je n'avais pas remarqué qu'il s'était éloigné. Je secoue la tête et trottine jusqu'au bâtiment pour attraper la porte avant qu'elle ne se referme. Nous traversons le hall, jetant un rapide coup d'œil autour de nous. Très peu d'étudiants sont présents le week-end, beaucoup préfèrent se vider l'esprit ailleurs ou rentrer chez eux.

Nous prenons l'escalier menant au premier étage, car elle m'a précisé dans son message qu'elle y serait. Je viens rarement ici, mais le calme est agréable. Seuls les bruits des souris d'ordinateur et des pages qui se tournent se font entendre. Une tranquillité à laquelle nous ne sommes pas habitués, surtout à la maison des Huskies.

Alors que nous avançons le long de l'allée centrale, je penche la tête pour voir derrière une bibliothèque. Isolée à une table, des écouteurs vissés aux oreilles, elle prend des notes. Ses longs cheveux blonds, légèrement ondulés, sont maintenus vers l'arrière grâce à ses lunettes. Quel intérêt d'avoir des lunettes si elles ne sont pas sur son nez ?

Mon regard s'accroche à son visage et il m'est impossible de m'en détacher. Elle semble si apaisée en parcourant son bouquin, que j'ai du mal à croire qu'elle soit copine avec Chucky.

— J'la trouve pas, mec !

Je sursaute et place mon poing devant mes lèvres pour ne pas l'insulter. Il me faut quelques secondes pour que mon cœur reprenne un rythme normal.

— Espèce de con, tu m'as fait peur ! Elle est juste là.

— Et t'attends quoi ?

— J'ose pas aller la voir. J'ai pas envie d'lui foutre la trouille, elle est à fond dans son truc.

— Arrête un peu tes conneries, elle nous attend.

Après un soupir, Marlon s'avance vers la table, mais un détail crucial me revient en mémoire. En fait, elle ne s'attend pas à voir Marlon. J'ai légèrement oublié de la prévenir qu'il serait présent, mais je n'ai pas le temps de me prononcer qu'il s'exclame :

— Salut !

Absorbée par sa lecture, elle ne remarque même pas notre arrivée. Surprise, elle sursaute. Son livre lui échappe des mains et s'échoue sur la moquette dans un raffut faisant tourner toutes les têtes dans notre direction. Gênée, ses lèvres forment un petit « O » avant de se pincer. Quant à moi, je regrette de ne pas être venu seul. Après un soupir, je ramasse le bouquin et frappe Marlon avec.

— Aie... mais aie... Arrête, ça fait mal, se plaint-il.

— Tu viens de lui faire peur, espèce de couille !

— Non, mais, c'est toi la couille ! C'est pas moi qui assume pas les idées de l'équipe, hein, braille-t-il.

— Hé, intervient Cassy. Je suis là...

Marlon grimace et s'éloigne pour s'installer sur une chaise. Agacé, je mords mon poing pour éviter de lui en coller une.

— Si vous continuez, on va se faire virer ! intervient Cassy.

— En même temps, qu'elle idée de nous donner rendez-vous à la bibliothèque, réplique Marlon.

— Chut ! s'agace un étudiant.

Le visage de Cassy se crispe, et elle agite nerveusement ses mains devant elle, nous suppliant de baisser d'un ton.

— Techniquement, c'est Jude que je devais voir. Qu... Qu'est-ce que tu fous ici ?

— J'ai été nommé porte-parole adjoint par l'équipe. Hein, Jude ?

— Il s'est nommé tout seul.

Marlon tire la chaise à côté de lui et tapote l'assise, m'indiquant de venir m'asseoir. Sans l'épargner d'un regard assassin, je m'installe. Cassy, mal à l'aise, regarde partout sauf dans notre direction. Après une grimace, elle lâche :

— Bon... Vu que vous êtes là, j'écoute vos propositions.

Avant même que Marlon ait le temps de respirer, je m'empresse de détailler les idées générales :

— On voudrait faire un effet trombinoscope, mais pas classique. Des photos individuelles, torse nu, uniquement en noir et blanc. On a déjà une idée pour la couverture. Lewis a une tête de lion tatouée dans le dos et on aimerait que ce soit ça, pour faire référence aux rois de la glace comme on nous surnomme.

— Tu fais un tour sur Instagram de temps en temps ? demande-t-elle en grimaçant.

— Non, pourquoi ?

— On est devenu les bouffons de la glace, m'apprend Marlon.

Cette nouvelle me donne la nausée. Redorer l'image de notre équipe va s'avérer bien plus compliqué que je ne l'imaginais. Alors que le silence s'installe, la main de Marlon s'abat violemment sur la table.

— Il a oublié une chose et c'est la raison de ma présence. Toute l'équipe veut faire une photo dans les douches collectives, sans aucun vêtement !

— Quoi ? s'exclame-t-elle.

THE ICE KINGSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant