4# JUDE - HEUREUSEMENT QU'IL EST CHAUVE

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Après m'avoir refourgué la tâche la plus compliquée, Lewis et Marlon ont filé comme des voleurs. Voilà bientôt une heure que je cherche un moyen de proposer le projet au coach sans risquer un magistral coup de pied aux fesses.

Pour me donner du courage, j'inspire et me lève d'un bond. Le sac sur l'épaule, je salue les membres restants dans le vestiaire avant de le quitter. Pendant le trajet, mes pensées tournent et se mélangent entre elles, pour trouver la meilleure manière de présenter cette idée, apparemment révolutionnaire, en vain.

En voyant que son bureau est toujours allumé, je manque de m'évanouir. À plusieurs reprises, je respire comme si je m'apprêtais à plonger en apnée. L'apnée en question : retenir mon souffle en frappant à la porte.

— C'est pour quoi ? râle le coach.

Bordel, je n'aimerais pas être l'un de ses invités.

Mal à l'aise, je me racle la gorge et réponds :

— Pour vous parler, coach.

Il soupire sans discrétion et, à contrecœur, m'autorise à entrer. Hésitant, je pousse la porte et passe d'abord ma tête, pour m'assurer qu'il n'y a aucun danger. Le coach a les yeux rivés sur son carnet sur lequel il griffonne. Sans dire un mot, il jette un œil dans ma direction et lève une main pour me demander d'attendre.

En patientant, je contemple les photos qui couvrent le mur, elles retracent le parcours des différentes équipes au fil des années. Des coupes sont disposées sur une étagère, accompagnées d'articles de journaux encadrés. Un bureau simple en acajou massif trône au centre de la pièce, couvert d'un tas de papiers et de babioles.

Ses notes terminées, il referme son carnet et chasse ses lunettes avant de reporter son regard sur moi. Les traits de son visage s'adoucissent tandis qu'il s'enfonce dans son fauteuil en croisant les bras contre sa poitrine.

— Crosby ! Qu'est-ce que je peux faire pour toi ?

— Bonsoir, Coach, je voulais savoir si...

— Si c'est pour la place de capitaine, sache que je ne dirai rien, me coupe-t-il sèchement.

Ma bouche reste figée dans la forme du mot que je m'apprêtais à prononcer, mais que je ravale. Il est clair que j'aimerais obtenir ce poste, mais en tant qu'étudiant de seconde année, mes chances sont minces. Déstabilisé par ses mots, j'en oublie presque pourquoi je suis là. Bourré d'appréhension, je déglutis.

— Je... Je n'étais pas là pour ça.

— Oh ! Et bien dans ce cas, assieds-toi.

Je dépose mon sac sur le sol et tire une chaise pour m'y installer. Monsieur Stewart place ses mains à plat sur son ventre et croise les doigts, puis, d'un signe de tête, m'invite à parler.

— Avec les gars, nous avons remarqué que de moins en moins d'étudiants assistaient à nos matchs. C'est déstabilisant d'être à domicile et d'avoir plus de supporters adverses dans les gradins.

— À qui le dis-tu, siffle-t-il, agacé.

On sent dans sa voix toute la déception du monde. Mon cœur se serre en le voyant si affecté, je ne peux que le comprendre, car nous subissons cela autant que lui.

— J'ai peut-être une idée. Si elle fonctionne... On devra agrandir le stade.

J'exagère peut-être un peu.

Intéressé, il se penche vers moi. Il est prêt à entendre toutes nos idées. Si seulement il savait qu'elle venait de son fils, il ne serait pas aussi impatient de connaître notre proposition. Motivé, je me lance. Seigneur, heureusement qu'il est chauve, sinon, il aurait perdu ses cheveux.

— La majorité des étudiants du campus courent voir les matchs de football, mais les membres de l'équipe ont su attirer des supporters en s'exhibant sur internet. De notre côté, on pensait refaire un calendrier, mais différent de l'année dernière...

— Différent ? C'est-à-dire ? insiste-t-il en se raclant la gorge.

En mordant mes joues, j'étouffe un rire nerveux. Faire marche arrière n'est plus possible, alors je fonce tête baissée.

— On pourrait peut-être retirer quelques vêtements... Par exemple...

Le temps de réaction est long, très long. Il m'angoisse au point que je n'ose plus respirer. Il semble figé, les yeux ronds, sans même cligner des paupières.

Putain, j'espère que je ne l'ai pas tué.

Je flippe.

À quelle sauce il va me manger ?

— Rassure-moi, Crosby. Cette idée est avant tout artistique, n'est-ce pas ?

— Oh, oui ! Totalement, Coach.

Le regard qu'il me lance montre à quel point il est sceptique. Qui pourrait lui en vouloir ? Une personne sensée ne croirait jamais que finir cul nu sur un calendrier est un projet artistique. Surtout quand l'idée vient de Marlon. Je tiens à le rappeler, histoire de ne pas oublier d'où ça vient.

— Je vais être franc avec toi. Je n'ai pas confiance en vous et en vos idées à la con ! Mais, si tu me promets que ce calendrier sera avant tout de l'art, je peux en parler à mes supérieurs pour obtenir l'autorisation !

— Vous pouvez compter sur moi !

Notre conversation continue, et je me lance dans une improvisation totale, détaillant les diverses photos que nous pourrions réaliser. Sa tête hoche comme un yoyo, et voyant que j'ai toute son attention, je poursuis :

— Le calendrier pourrait être produit par l'équipe du magazine et distribué avec la sortie d'un nouveau numéro. La saison régulière aura déjà commencé, mais elle ne sera pas terminée. Après, on pourrait aussi mettre des petites avant-premières des photos sur nos réseaux sociaux.

L'index de monsieur Stewart tapote ses lèvres pendant quelques secondes qui semblent une éternité. Mon corps est en suspens, rempli d'une excitation qui ne demande qu'à exploser, au point que ma jambe gigote sous le bureau.

— Très bien, je note ta proposition. Je vais voir ce que je peux faire et je reviendrai vers toi dès que j'aurai des réponses, assure-t-il.

Ses lèvres s'étirent légèrement, et c'est bien la première fois que je vois un sourire, même faible, sur son visage. Excité, je le remercie et bondis de ma chaise, tout en lui souhaitant une bonne soirée.

Après avoir refermé la porte, je traverse le couloir à toute vitesse, essayant de contenir ma joie. À peine dehors, je sors mon portable et envoie un SMS à Marlon.

JUDE : Il Valide 

MARLON : J'en étais sûr qu'il accepterait avec toi. Tu nous rejoins, on est à la Huskies Tavern ?

JUDE : J'arrive ! Commande moi un truc à manger, je meurs de faim.

THE ICE KINGSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant