« Dédé et Raya, cent soixante-dix ans à eux deux, grimpaient dans leur vieil utilitaire surélevé de couleur bleue aux nuances rouille, agrémenté d'une benne en guise de coffre. Dédé avait un peu de mal à atteindre le siège conducteur, car son embonpoint accumulé après des années de côtelettes marinées au barbecue et son arthrose du genou le handicapaient quelque peu. Mais ce n'était pas cela qui allait l'empêcher d'emmener sa petite famille à bon port. Le voilà installé derrière le volant, il ôtait sa casquette verte flanquée d'un cerf pour mieux voir la route et laisser ainsi à l'air libre son crâne chauve. Il chaussait ses lunettes de soleil en métal style aviateur avec les verres jaunâtres et klaxonna pour donner le top départ de la journée.
Raya arrivait en râlant :
"T'es toujours pressé, Dédé, la mer ne va pas s'enfuir."
La vieille Raya, coquette, portait élégamment son maillot de bain une pièce déniché au marché il y a une dizaine d'années, il était rose fluo, sa couleur préférée. Dédé aimait à dire qu'il ne la perdrait jamais avec son déguisement de flamant rose, ce qui la faisait sourire. Autour de sa taille, elle avait noué un paréo tout aussi rose avec des imprimés représentant des feuilles de palmiers d'un vert très clair. Elle aussi montait avec difficulté dans le véhicule, son embonpoint et sa prothèse de hanche la handicapant également, mais elle finissait toujours par y parvenir. Une fois installée, elle fit remarquer à Dédé qu'il fallait peut-être acheter une voiture moins difficile d'accès et ce dernier répondit un brin énervé :
"Il est très bien cet utilitaire, je ne vais quand même pas acheter une de ces nouvelles voitures électriques bourrées d'informatique et de boutons qui ne servent à rien !"
Notons qu'un peu plus tôt dans la matinée Dédé avait pris soin d'entreposer le nécessaire de survie, pour une journée à la plage, dans la benne de la voiture :
- Une glaciaire d'époque, blanche et bleue, à la poignée massive ; soigneusement remplie par Raya de tranches de pain de mie garnies au thon, de boissons gazeuses sucrées et des cervoises allégées de Dédé.
- Deux fauteuils pliables aux motifs coquelicots achetés au retour de la guerre des quatre mers dont les accoudoirs en plastique tenaient miraculeusement avec deux vis rouillées sous le poids de Dédé et Raya.
- Trois cannes à pêche qui n'ont jamais rien attrapé à part le béret de Robbie, le beau-frère de Dédé.
- La planche de glisse rose et blanche de Jasmine, leur petite fille de seize ans.
Au troisième coup de klaxon assené vigoureusement par Dédé, Jasmine surgit de la maison. Elle enjambait d'un bond les quatre marches du vieux porche où trônait un fauteuil à balancier tout aussi vieux. Jasmine était la petite-fille du couple ; son père, le quatrième fils de Raya, avait réussi comme on dit, il était chargé de la gestion de l'entreprise de lunettes de Catame et son épouse l'assistait dans ses fonctions. Ainsi Jasmine se retrouvait souvent chez ses grands-parents pour les vacances, les week-ends et les jours chômés, le trajet en cryodragon n'avait plus de secret pour elle. Elle songeait même à faire des études portant sur le domaine aérien et la conception de ces majestueux aéroplanes. Ses parents, bien trop occupés, ne prenaient jamais de vacances ou de jours de repos, de temps en temps un jour férié, mais ils pouvaient se compter sur les doigts d'une main.

VOUS LISEZ
Symviosi-Le livre des gardiens
FantasyUne histoire de deux mondes qui se juxtaposent, sans vraiment se connaitre. Alors que l'ancien et le nouveau se remettent à cohabiter pour d'étranges raisons. Il était temps que nos personnages se révèlent à eux même pour comprendre comment pallier...