« Un magasin, une boutique, une échoppe... symboles de consommation pour les uns, de plaisirs inavoués pour d'autres ou encore l'occasion de sorties en famille ou entre amis. Petit avenant à mon récit consacré à la boutique la plus appréciée de la cité et ne se trouvant pas au sacro-saint centre commercial si précieux à Alfred. Je te conseille d'y faire un tour, Otis, déjà en tant que Gardien de l'histoire de Symviosi et surtout pour ressentir l'atmosphère féerique des lieux.
Mina, l'épouse de monsieur le maire, se baladait dans la rue, quand soudain sur le trottoir d'en face, elle vit une pancarte apposée sur la vitrine de son commerce préféré. Sur ce grand et triste morceau de carton plastifié figurait en lettres capitales d'un rouge vif et menaçant la mention suivante :
À vendre !
Ce magasin si cher au cœur de Mina était celui d'un boulanger-pâtissier et bien évidemment pas n'importe lequel, son pâtissier !
Celui qui avait vu grandir ses deux enfants année après année en confectionnant les gâteaux d'anniversaire. Des décennies durant, monsieur Morris, son prénom étant devenu le symbole de la gourmandise extrême, avait égayé de son fondant au chocolat les anniversaires, de sa bûche aux marrons les solstices d'hiver, de sa cloche glacée passion mangue le premier dimanche du printemps et bien sûr de sa pièce montée son mariage avec Alfred.
Quel désespoir à la vue de cette pancarte ! Mais pourquoi Morris lui faisait-il cela, ainsi qu'à sa famille et toutes celles du quartier ?
Mina se disait qu'il fallait être égoïste pour stopper son commerce ainsi, sans préavis, en abandonnant ses fidèles clients. Mais un sentiment d'inquiétude remplaça d'un coup sa colère, et s'il était malade ? À cet instant, elle croisa madame Percy qu'elle côtoyait chaque semaine au dansodrome lors des cours de danse mandranienne, et avec qui elle avait sympathisé. Cette dernière ne semblait pas étonnée de la fermeture de la boulangerie-pâtisserie, et voyant la mine déconfite de son amie, elle lui lança :
"Tu ne savais pas ? Le Morris, il prend sa retraite."
"Comment ? Quoi ? Déjà ?" bégaya Mina, incrédule.
"Oui, il part pour une croisière sur les quatre mers, suivie d'un tour des quatre terres avec la Gerna", rajouta madame Percy. Gerna étant l'épouse, mais aussi le pilier inébranlable de Morris.
Bon, ma foi, pourquoi pas, pensait Mina, faisant son deuil de tous ces succulents gâteaux dont elle ne retrouverait sûrement jamais le goût.
Le mois suivant la cessation d'activité de Morris, Mina passa de nouveau devant le magasin et une nouvelle pancarte, plus joyeuse, en lettres multicolores remplaçait l'immonde "À vendre". Une étrange enseigne, représentant un lion de couleur mauve, ce qui était plutôt inhabituel, s'illuminait une fois la nuit tombée et mentionnait "Dresseur de fauves".
"Dresseur de fauves !
Dresseur de fauves !
Ici ?
Dans cette rue, dans cet espace réduit !" s'indigna Mina.
"Mais quel type de fauve peut-on bien pouvoir y dresser ?
Des mouches sauvages ou encore le chien enragé de Marius !
Personnellement, je ne vois rien d'autre", s'exclama Mina toujours aussi remontée.
Pourtant cette mystérieuse enseigne piquait quand même sa curiosité. Le jour de l'ouverture, elle décida de s'y rendre, prête à ameuter la ligue de protection animale au moindre doute, à la moindre incartade. Elle avait déjà briefé Alfred sur la situation et insistait sur le fait que son rôle de maire était aussi de protéger le monde animal. Le pauvre homme espérait en secret ne pas avoir à intervenir, car sa femme pouvait faire preuve d'une férocité impressionnante si on s'attaquait à la cause animale. Son idée d'exposition avicole ayant avait déjà failli lui coûter son mariage, depuis, il était prudent sur le thème et avait étendu les prérogatives du garde forestier à la préservation absolue et indiscutable de la faune. Ce dernier n'étant personne d'autre que Sylvain le Gardien de la forêt, de la faune et de la flore, dont l'activité officielle rejoignait ses fonctions officieuses au service de la contrée. Ainsi toutes les inquiétudes ou questions concernant le monde animal relèvent maintenant de la compétence de Mina ; une fois par trimestre, elle détaille son rapport rédigé en collaboration avec Sylvain, en préambule du conseil municipal. Cependant Alfred préféra ne pas accompagner Mina pour sa première visite dans la nouvelle échoppe et décida à la place d'emmener Marius pour une longue, très longue, voire interminable partie de Clof.

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Symviosi-Le livre des gardiens
FantasyUne histoire de deux mondes qui se juxtaposent, sans vraiment se connaitre. Alors que l'ancien et le nouveau se remettent à cohabiter pour d'étranges raisons. Il était temps que nos personnages se révèlent à eux même pour comprendre comment pallier...