.01. Traître un jour, traître toujours.

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Yennefa.

Six mois.

Tout ce temps s'est écoulé depuis que j'ai quitté l'Amérique. Chaque jour qui passe me rappelle sans cesse la vie que j'ai laissée derrière moi, celle que je comptais me construire pour échapper à mon passé et à toutes les douleurs dont j'essayais de me défaire.

Je me disais qu'un jour, j'aurais pu repartir de zéro, devenir la femme que j'ai toujours voulue être. Pourtant, mon destin était scellé bien avant que j'aie pu avoir le choix d'en décider. J'ai compris que j'étais résignée à suivre une vie conditionnée, tracée par ma naissance et le lien inéluctable de mon géniteur immonde qui fait de moi une cible redoutable dans l'ombre de sa vie. Une volute de fumée étouffe progressivement mon visage, ombrageant ma vue et me bloquant mécaniquement la respiration.

Je tourne la tête vers la gauche, apercevant le bout du joint coincé entre les lèvres du brun. Il tire dessus et expulse à nouveau sa fumée, grimaçant légèrement à cause du cannabis. Le soleil de fin d'après-midi tape sur nos visages, la fine chaleur de Rio réchauffe mon épiderme.

Ruivinha, (Surnom de "Rousse" en brésilien, affectueux) tu dois aller en ville ce soir, me lance Kaleb en s'adressant à moi.

Je secoue la tête, une lueur de curiosité pulsant dans mes veines.

– Quand est-ce que tu arrêtes avec ce surnom ? J'ai les cheveux noirs, je lui réponds en balayant un épi sombre derrière mon oreille.

Il sourit, ses dents dans une ligne impeccable, tandis que ses yeux verts s'illuminent chaleureusement sur sa peau légèrement bronzée.

– Tu resteras ma Ruivinha, peu importe tes colorations, me taquine-t-il en continuant de fumer.

Je roule des yeux, décontractant mes épaules.

– Tu ne m'as connu qu'une semaine avec les cheveux roux, rétorqué-je en croisant les bras sur ma poitrine, un air de défi.

Kaleb n'a jamais réellement digéré cette décision. Sitôt arrivée dans cette ville, j'avais pris l'initiative de couper mes cheveux et de les teindre en noir. Une nécessité, autant pour me fondre dans mon nouvel environnement que pour marquer une rupture nette avec ce que j'étais avant.

Ce qui m'amuse, c'est que certains nous imaginent frère et sœur Kaleb et moi, trompés par nos regards semblables, cette nuance verte. Kaleb lâche finalement son joint et l'écrase sous sa chaussure avec une nonchalance étudiée.

Son attention retombe sur moi, pesante, scrutatrice. Sur son cou, parsemé d'une phrase en brésilien court le long de sa peau, une calligraphie marquée dont le sens m'échappe encore, malgré mon niveau plus qu'honnête dans cette langue.

– Ce soir, tu dois superviser une équipe pour me faire livrer une cargaison à Niterói, Tá bom ? (D'accord ?)

Son ton s'est affermi en une seconde. L'instant de légèreté s'est effacé en un battement de cils, laissant place au véritable Kaleb Almeida.

Sim, (oui) articulé-je sans la moindre hésitation.

Il marque un temps d'arrêt, me jauge, puis acquiesce, satisfait de ma réponse. Kaleb m'intègre de plus en plus à ses affaires, me confiant des missions sans jamais m'en détailler la nature. Je pourrais feindre l'ignorance, mais à quoi bon ? Je sais très bien ce que contiennent ces cargaisons.

Des armes, de la drogue, ou peut-être autre chose encore. Ce monde-là m'aurait fait horreur, autrefois. Mais voilà qu'aujourd'hui, il constitue mon équilibre.

UNFAIRNESSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant