UNFAIRNESS

.36. Morceaux de verre

☾

Ylass.

Dans la même matinée, plus tôt.

Les instruments de musique roulent au fond, un vieux standard qui a traversé les âges. Les notes s'effilochent et le piano martèle sur un rythme qui refuse de céder.

J'écoute sans entendre, appuyé contre le rempart de mon balcon, je divague dans mes pensées. Une cigarette meurt sur mes lèvres, je contemple la rangée d'arbres dénudés qui s'offrent à moi.

La braise de ma clope est flamboyante, elle se ruine en miettes de cendre. Un nuage toxique s'élève en volutes, se mêlant à l'air alourdi par l'odeur du tabac.

Mes yeux se perdent dans le ciel gris. Une pression vibrante s'exerce contre ma cuisse. Je pioche mon téléphone d'un geste, l'esprit affûté par ce qu'il s'apprête à m'annoncer.

La vibration est brève, mais je la reconnais immédiatement.

Ce son, aigu et perçant.

La caméra en face de chez Pénélope.

J'inspecte l'écran avec une attention qui frôle l'obsession. Je décrypte ce qui se joue, arquant un sourcil. Mon regard se fait plus attentif, ma vigilance s'intensifie quand je la vois sortir de son immeuble.

Pénélope est vêtue de vêtements sombres, bien trop pour que ce soit une coïncidence. Elle ne sort jamais ainsi. Elle a l'habitude de porter des couleurs qui, à chaque fois, risquent de réveiller mon épilepsie. Je me redresse, le message est sans équivoque.

— Putain.

Les secondes deviennent précieuses, chaque impulsion est un calcul que je ne peux me permettre d'ignorer. Dans un réflexe vif, j'écourte la situation en écrasant ma cigarette contre le muret.

La cendre se disperse dans le vent froid. Je n'ai pas de temps à perdre, ni une pensée à gaspiller. J'enfile un manteau posé sur le canapé, attrapant aussi un sac à la volée. La porte de l'appartement claque brutalement dans mon dos, une diaphonie rauque.

La musique de jazz résonne dans le vide tandis que je dévale les étages de cette misérable construction. Je file vers le garage, là où ma moto m'attend, fidèle à son emplacement habituel.

Je l'enfourche, le moteur rugit, vibrant de puissance dans le parking. Les murs amplifient le grondement, tremblant sous son cri. J'accélère, laissant la résidence derrière moi. J'oscille à toute allure sur les routes sinueuses, le vent m'effleure à peine.

Mes mains sont cramponnées au guidon. Je cligne des yeux pour dissiper l'ivresse de mon corps, lentement absorbé par une léthargie.

Le système de géolocalisation de mon téléphone me fournit des indications précises sur sa position. Mes sens balayent l'écran et la route, tentant de conserver une certaine stabilité. J'esquive les véhicules, leurs klaxons m'avertissent de mes manœuvres risquées.

Sur son téléphone que j'ai récemment hacké, un traceur y est installé. Ce dernier utilise une connexion sans fil pour m'envoyer des données en temps réel, me permettant de suivre avec exactitude ses déplacements.

Je vois chaque mouvement, à la seconde près. Ce dispositif me fournit une traçabilité complète de ses gestes et de ses actions.

Je me contente de suivre l'itinéraire, les cylindres mécaniques de ma bécane m'enfoncent toujours plus loin. Les minutes s'égrènent et la position de Pénélope progresse vers la forêt. À mesure que je me rapproche, je réduis ma vitesse, je scrute l'environnement.