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Reflexions — The NeighborhoodLILITH
Je devrais être contente d'être ici.
La pluie ne bat pas trop fort, et la réunion de rentrée vient à peine de commencer. Tout est réuni pour que cette journée soit idéale et pourtant, je ne peux rien faire d'autre que fixer abscentement le tableau vierge, quelques mètres en contrebas.
Juste devant, notre directeur de filière s'écoute parler depuis plus d'une heure alors même que la moitié des étudiants présents ne le font déjà plus. Je suis trop loin pour distinguer autre chose que son costume ringard et ses mimiques prétentieuses.
Il n'est pas très différent de tous les profs que j'ai pu rencontrer dans ma vie, si ce n'est qu'il a l'air persuadé de valoir bien plus que tous les étudiants assis dans cette salle. Je n'ai pas pris la peine de retenir son nom, mais je sais que je ne l'apprécie pas. Sa voix rocailleuse trahit les nombreux cigares qu'il a pu fumer – ouais, ce genre de types ne fument rien d'autre, en témoigne la boîte qui dépasse presque trop parfaitement de sa sacoche de créateur.
Je devrais être contente d'être ici.
Les discussions des étudiants se mélangent toutes pour former un brouhaha constant par-dessus le discours terriblement rabaissant de notre directeur de filière.
Comment se fait-il que je sois la seule à n'avoir encore rencontré personne ?
Question rhétorique. Je sais pertinemment que je n'ai pas adressé la parole à qui que ce soit depuis que j'ai franchi le seuil de cet amphithéâtre, même pas à ma voisine de table qui a pourtant plusieurs fois tenté de me faire la causette avant de se détourner vers celle qui se situe de l'autre côté. Et je me suis sciemment mise sur une extrémité, pour être sûre que personne d'autre n'essaie de faire de même.
Cela fait des années que j'attendais cette rentrée, et elle n'a pas du tout le goût que je lui avais imaginé. La journée portes ouvertes m'avait convaincue pourtant, mais il faut croire que comme tout le reste, cette fac est profondément décevante.
Parce qu'il manquera toujours quelque chose.
Parce qu'il manquera toujours quelqu'un.
Je suis forcée de quitter le tableau des yeux quelques instants quand ma voisine me donne un léger coup de coude. Lentement, toujours éprise d'une profonde apathie, je regarde dans sa direction. Elle me tend distraitement un tas de papiers toujours sans interrompre sa conversation avec la fille à sa gauche, et je comprends que je dois en prendre un à mon tour avant de le faire passer au rang suivant.
Ce doit être la cinquième feuille de ce genre que j'entasse sur mon bureau. Après un coup d'œil expéditif, ce ne sont que de simples fiches d'information destinées au secrétariat ainsi que le programme de cette première année.
– Ces fiches doivent-être impérativement remises au secrétariat avant la fin du mois, auquel cas vous ne pourrez pas être inscrits aux examens de fin de semestre, nous prévient le directeur de filière en prenant pompeusement appui sur son bureau.
Un soupir agacé m'échappe.
À priori, je n'aurai pas à voir cet homme plus d'une fois par semestre, lors de ce genre de réunions. La spécialité que j'ai choisie est enseignée par un autre professeur, et je ne peux qu'espérer qu'il sera beaucoup moins insupportable que lui.
Après nous avoir mis en garde et avoir rappelé une énième fois à quel point les jeunes gens de notre génération sont immatures et inconscients, il se remet à parler de la renommée de cette université, vantant ses mérites et ses nombreuses distinctions, perdant au passage mon attention.

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THOSE WE LOST
RomanceLes seules choses immuables dans l'existence de quiconque sont la naissance et la mort. Tout ce qui se produit entre ces deux événements n'est que le fruit de décisions, et Lilith en a prise une de la plus haute importance: Elle veut le faire payer...