.23. Déteste-moi si tu peux

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Yennefa.

Les arômes de pins gelés et de sapins capturent l'hiver. Les guirlandes colorées et la vénusté de cette fête séduisent Shatwood, l'enveloppant dans une lividité opaline. 

Sous le vent hiémal, les flocons s'effondrent lentement, laissant derrière eux des cristaux clairs.

Hailey, assise à ma droite, plante ses ongles dans le papier-cadeau et déballe un coffret de maquillage que ses parents lui ont offert.

Un rictus s'esquisse sur son visage, malgré l'accablement de ses anxiolytiques. L'éclat qui jaillit de ses commissures illumine la pièce.

Plus les jours passent, mieux Hailey semble aller. Malgré sa fatigue physique manifeste à cause de ses médicaments, elle retrouve peu à peu de la vigueur.

Ses yeux sont souvent mi-clos et sa peau, devenue terne à cause de la mélancolie, reflète sa fragilité intérieure. J'éprouve un pincement au cœur.

La vision de mon amie me laisse une douleur inénarrable.

Elle a toujours été débordante de bonne humeur, prête à tout pour ceux qu'elle aime. Radieuse et positive. L'avoir vue sombrer dans un abîme a été une épreuve mentale âpre.

Car c'est dans ces moments que l'on comprend que la souffrance n'épargne personne. Nous sommes si impuissants face au mal-être. Si frêles devant la noirceur intérieure.

Une part de moi refuse d'admettre que j'ai failli la perdre ce jour-là. Depuis l'incident, c'est comme si le soleil qu'elle représentait s'était métamorphosé en lune.

Je m'efforce d'ignorer ce tourment pour savourer chaque instant à ses côtés, de peur que ce soit le dernier.

Cela m'aide à oublier qu'il y a peu, je courais dans le long corridor de l'hôpital, persuadée qu'elle était en train de mourir, d'une manière si affreuse que j'en suis encore terrifiée.

Le suicide m'a dérobé ma mère, je refuse qu'il me prenne Hailey. Un frisson désagréable parcourt ma nuque. Je me racle la gorge, portant mon attention sur la paire de bottines marron qu'Isa m'a offerte.

Un sourire se dévoile sur mes lèvres, la mère m'adresse un regard bienveillant. J'ai connu très peu de cadeaux dans ma vie. Ceux qui m'ont le plus marquée viennent de cette famille.

J'ai de la chance de les avoir.

Parfois, lorsqu'ils m'offrent quelque chose, une pointe de remords déferle en moi. Une vague de honte m'envahit en réalisant que je n'ai jamais partagé cela avec ma mère, celle qui est censée partager mon sang.

Un sang que j'ai profané rien qu'en venant au monde.

—  Merci, émets-je d'une voix cristalline. Les bottines sont vraiment magnifiques. 

Rod éclate de rire en s'intéressant à moi. Ses iris, semblables à ceux de sa fille, me considèrent avec véracité.

—  C'est la quatrième fois que tu nous remercies, observe-t-il.

Je baisse les yeux, sentant une impression d'embarras s'insinuer jusqu'au plus profond de mes pores.

—  Tu es comme notre fille, c'est normal, Yennefa, ajoute Isa avec mansuétude.

Hailey me considère silencieusement. À cet instant, je comprends une chose singulière.

Je suis là où je dois être. Cette famille m'a accueillie sans hésitation.

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