~ Chapitre Vingt-Deux ~

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3 Juin 1942, très tôt dans la matinée

Quand Victor a débarqué en trombe à deux heures du matin, je n'ai jamais éprouvé un aussi grand soulagement de le voir. Il était tout affolé et transpirait à grosses gouttes. Je l'ai serré pendant des minutes entières dans mes bras, et maman aussi. Je n'arrivais plus à le lâcher. J'ai bien cru que je ne le reverrais plus.

Mais à présent, c'est pour papa et ses compagnons que nous nous inquiétons terriblement. Mon frère nous a expliqué qu'il avait dû rester cacher longtemps. Pendant ce temps-là, il assistait, complètement impuissant, à l'arrestation de notre père. Je n'imagine même pas à quel point ça a dû être dur de ne rien pouvoir faire.

Il était très en colère quand il m'a avoué qu'il nous avait surpris, Élie et moi, en train de courir à perdre haleine dans ce champ. Il n'arrêtait pas de me crier dessus en me secouant par les épaules. Mais il a finit par se radoucir en voyant que je tremblais de la tête aux pieds et il m'a dit qu'il m'en reparlerait à un autre moment, lorsque la situation serait moins critique qu'en cet instant.

Élie, quant à lui, a été porté jusqu'à mon lit avec l'aide de Victor, et il dort encore. Normalement, il est presque tiré d'affaire. Il risque d'avoir mal pendant un petit moment, mais ses jours ne sont pas en danger. Je suis vraiment contente que ça ne soit pas plus grave. Il a déjà eu assez de malchance comme ça. Surtout que nous ne pouvions pas appeler le médecin, étant donné que lui aussi a été arrêté avec tout les autres on ne sait pas où. Par je ne sais quel miracle, la balle a juste frôlé son bras en creusant une espèce de petit sillon bien net dans celui-ci. Les saignements sont beaucoup moins importants. Il ne lui reste plus qu'à se reposer. Il a perdu beaucoup de sang en très peu de temps.

Ma mère préviendra bientôt sa famille de ce qui lui est arrivé. Elle ne voulait pas les réveiller au beau milieu de la nuit. Comme il est presque six heures du matin, elle a commencé à se préparer pour s'y rendre. Bientôt, elle claque doucement la porte et sort au dehors.

Mon frère et moi nous retrouvons donc seuls et nous nous levons chacun à notre tour de notre chaise pour faire les cent pas. Nous n'avons absolument aucune idée de ce qui est arrivé à notre père, et cela nous rend horriblement nerveux.

Je suis épuisée, mais je sais très bien que je n'arriverais jamais à fermer l'oeil. Et puis de toute façon, c'est Élie qui occupe mon lit et il en a bien plus besoin que moi.

Décidément, cette mission a véritablement été un échec cuisant.

Après s'être levée pour la millionième fois pour recommencer à marcher en travers de la pièce, les jambes de mon frère ne le soutiennent plus et il tombe à genoux sur le carrelage froid de la cuisine. Je m'inquiète un petit peu et lui demande s'il va bien. Mais il ne me répond pas. Et je me rend soudain compte que ses épaules sont prises de secousses. Je m'approche donc enfin et dépose une main sur son épaule.

C'est la première fois que je vois mon frère pleurer et cela me fait tout drôle.
En temps normal, il paraît toujours si fort, si robuste... Il semble contrôler la situation, qu'importe les circonstances. Le voir craquer ainsi me fait un petit peu perdre mes moyens.

Il éclate bientôt en sanglot et enfouie son visage dans ses mains. J'enveloppe son corps entre mes bras et laisse couler les larmes à mon tour.

Comme avantWhere stories live. Discover now