30 Mai 1942, soirée
- Élie, fais attention !
J'ai hurlé, mais c'était déjà trop tard... Il est projeté sur le sol par une énorme gifle. Le soldat lui colle ensuite une série de coups de pieds dans les côtes, le ventre et le dos. Le pauvre garçon pousse des petits cris de douleur. Ses joues sont bientôt baignées de larmes, tout comme les miennes.
Je fonce sur l'allemand et le frappe de toutes mes forces à mon tour pour tenter de l'éloigner de mon ami.
- Arrêtez, arrêtez ! Je vous en supplie, arrêtez !
Je cogne encore et encore en sanglotant.
- Espèce de salaud, laissez-le tranquille !
- Dégage de là gamine !
- Non ! Je ne bougerais pas !
Voyant que je ne suis vraiment pas décidée à m'en aller, le soldat me rentre un coude dans les côtes. Je retombe brusquement sur les fesses dans les graviers.
Je manque d'air et ma tête me tourne. J'ai envie de me relever aussitôt, mais mon corps n'est pas du même avis. Ma vision se trouble. Je respire très fort à cause de la rage et de la peur.
Je perçois les plaintes que pousse Élie à chaque fois qu'il se prend un nouveau coup.
En dernier acte de désespoir, je hurle à m'en décrocher les cordes vocales.
- Au secours, aidez-nous ! Au secours !
Constatant ce que je suis en train de faire, l'homme semble prendre peur et décide enfin qu'il en a assez fait. Il par en marchant, les mains dans les poches. J'imagine que si le maire du village apprend qu'il s'en est pris à des habitants sous prétexte qu'ils ne respectaient pas le couvre feu depuis quelques minutes à peine, il passerait un très mauvais quart d'heure. Je remarque que malgré son air hautain, il marche très vite. Je suppose qu'il préfère éviter de se faire repérer. Un soldat allemand se promenant seul dans les rues, c'est tout de même peu courant. En général, ils patrouillent plutôt en groupe.
Je continue d'appeler à l'aide. Je suis effondrée.
Soudain, la porte de la maison s'ouvre et je vois sortir Victor, complément paniqué.
Hourra ! Nous sommes sauvés !
Il me voit là, accroupie sur le sol et cours dans ma direction. Puis il aperçoit l'homme qui se dirige vers la kommandantur, en avançant de plus en plus vite. Je vois une veine gonfler sur sa tempe et ses poings se serrer. Mais il continue son chemin et se précipite vers moi.
- Adèle ! Qu'est ce qu'il s'est passé ? Oh mon dieu Adèle, tu es blessée !
Effectivement, lorsque je regarde ma main, elle est ensanglantée. Mon frère sors un mouchoir de sa poche et commence à nettoyer ma joue. Mais je l'arrête d'un geste.
- Arrête ça tout de suite ! Je n'ai rien, ce n'est pas à moi qu'il faut faire ça.
Et voilà, les larmes recommencent à couler. Il faudrait vraiment que j'arrête ça, c'est très handicapant.
Je montre alors d'un doigts couvert de sang notre voisin, recroquevillé sur le sol. Il tremble de tout ses membres. J'ai envie de me cacher les yeux, mais je ne le fais pas. Je l'entend gémir faiblement. Cela m'arrache le cœur. Comme il doit souffrir...
Il se décide alors enfin à me laisser et va constater les dégâts. Je me lève un peu difficilement pour le suivre.
Nous nous agenouillons auprès de lui, chacun d'un côté. Il n'est vraiment pas beau à voir. Son joli visage est maintenant en charpie. Il saigne du nez, a des éraflures ici et là, un oeil au beurre noir et une entaille au niveau de la lèvre inférieure. À mon avis, il a été touché à la tête plusieurs fois.
Une nouvelle vague de haine me traverse. Quel véritable enflure. Infliger de telles choses à un humain est absolument ignoble. Ces gens là n'ont donc aucune pitié pour quiconque. Heureusement qu'il ne portait pas d'étoile. Il aurait eu le droit à une raclée de plus.
Ses mains sont recouvertes d'ecchymoses. Je ne vois pas l'état de son corps sous ses vêtements, mais il doit en être recouvert de la tête aux pieds.
- Et bah mon gars, t'es dans un sale état. Il t'a pas loupé l'autre... s'indigne Victor lorsqu'il s'accroupit devant lui.
Puis il se retourne vers moi.
- Est-ce-que tu pourrais aller chercher de l'aide ? Appelle papa et va prévenir la famille d'Élie. On va avoir besoin de renfort. Je ne pense pas qu'il soit en état de marcher.
Je hoche la tête et m'apprête à courir. Mais une douleur lancinante me prend dans le bas du dos alors que je tente de le faire. Cela doit être à cause de ma chute de tout à l'heure.
Voyant que je m'arrête, mon frère s'inquiète. Je le sais parce qu'une ride vient de se former au milieu de son front, et c'est ainsi que je remarque quand il est tourmenté. Ses soucis se logent toujours ici depuis qu'il est tout petit. C'est pratique, parce qu'ainsi j'arrive à savoir quand quelque chose le préoccupe.
- Qu'est-ce-qu'il t'arrives ? Tu t'es fais mal ?
- Non, tout vas bien. Je suis juste tombée, mais je vais m'en remettre.
- Tu es tombée ou quelqu'un t'a poussé ?
- Euh... On m'a poussé...
- J'en étais sûr ! Il ne perd rien pour attendre, je vais lui faire la peau à ce goujat ! Il ne pers rien pour attendre...
- Non, Victor. Arrête de toujours vouloir te venger de tout. Ce type n'a rien dans la cervelle. Il n'en vaut pas la peine.
- Si tu le dis...
Et après un minuscule silence, il ajoute, avec un ton beaucoup plus doux :
- Vas-y doucement, d'accord ?
- Promis.
- Dis aux parents de se dépêcher.
Je repart donc plus prudemment, même si j'essaie tout de même d'aller le plus vite possible. Quand j'arrive dans l'entrée, je vois ma petite sœur, assise sur les marches de l'escalier. Elle est livide, et on devine la peur dans ses yeux. Je crois qu'elle a tout entendu, et peut être même tout vu. J'aurais voulu qu'elle n'assiste pas à tout ça. Je culpabilise de ne pas avoir pu faire quoi que ce soit pour l'empêcher de tomber sur une scène aussi violente. Cela m'a choqué moi-même. Je n'imagine pas l'effet que cela a pu provoquer chez une petite fille de cinq ans. Je m'en veux encore plus de ne pas avoir le temps de m'arrêter pour la rassurer. Mais j'ai plus urgent à accomplir pour le moment.
- Judith, tu as vu papa et maman ?
- Ils sont au fond du jardin. Ils m'ont dit de ne pas les déranger, que c'était une discussion entre grandes personnes.
- Oui, sauf que là c'est une urgence. J'y vais.
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Comme avant
Historical FictionAdèle n'est alors qu'une jeune adolescente de quinze ans, habitante d'un petit village de Bretagne, quand son monde bascule, le 28 Mai 1942, en pleine seconde guerre mondiale. Suite à ça, plus rien ne reviendra comme avant. Elle fera à présent parti...
