.04. L'illusion du rien

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Yennefa.

Le moteur vrombit sous mes talons, les vibrations détonnent dans mon corps. La voiture bondit sur le bitume froid, avale la route avec une agressivité qui rend aveugle.

Mon cœur tambourine contre ma cage thoracique, les battements devenant un supplice muet. L'air me manque, étranglé par l'angoisse qui se loge dans ma gorge.

D'un regard presque vitreux par la nausée, je fixe le GPS. Mon adresse s'y affiche comme une sentence irrévocable après lui avoir donné.

Était-ce une erreur de la lui donner ?

L'idée germe, se dilate, s'enracine dans mon esprit, semblable à une marée oppressante. L'impression d'être suspendue au bord d'un gouffre me saisit.

Rien ne m'appartient plus, tout m'échappe. L'adrénaline s'insinue dans mes veines, non pas comme une exaltation, mais comme un poison rampant.

L'incontrôlable tue.

Et moi, je refuse de mourir comme elle.

–  Tu peux ralentir, bon sang ?! vociféré-je en tournant la tête dans sa direction.

Son nez, long et droit, se détache dans l'ombre vacillante du tableau de bord. Un rictus sadique s'étire sur ses lèvres, impassible, cruel dans sa tranquillité.

– Garde ton souffle, tu risques d'en avoir besoin, s'amuse t-il.

À peine les mots franchissent-ils sa bouche que la voiture s'engouffre dans un virage à une vitesse effrayante. L'inertie me plaque contre le siège, mon estomac se retourne brutalement.

Une chape glacée s'abat sur mes entrailles. Mes doigts s'agrippent au cuir, crispés à s'en blanchir les phalanges.

L'idée de la mort m'a toujours paru insoutenable, non pas dans son abstraction, mais dans sa soudaineté.

Cette déchirure brutale, ce gouffre où l'on chute sans retour. Ma mère me l'a bien prouvé.

Une voiture qui s'écrase contre un rail, un ciseau qui se plante dans une gorge.

La fin ne prévient pas, elle s'impose.

Dans un ultime virage aigu, la voiture fonce sur les arbres avant de se détourner, à la dernière seconde. S'en est trop pour moi.

–  Putain, mais qui t'a élevé ?! hurlé-je folle de rage en m'accrochant davantage tandis qu'il esquive une voiture de justesse.

À peine ma question résonne-t-elle dans l'habitacle que le conducteur ralentit brusquement. Je m'enfonce dans le siège, tentant de reprendre un souffle normal.

Une boule me lacère la gorge alors qu'il adopte une conduite lente et maîtrisée. L'air est saturé de tension, palpable. J'ai touché une corde sensible.

Et pourtant, il ne dit rien.

Il se contente d'avancer, les derniers mètres jusqu'à chez moi s'étirent dans un silence assourdissant. Il se gare enfin, et au moment où je m'apprête à sortir de la voiture, j'entends un cliquetis.

Je remarque que la portière vient d'être verrouillée. Mon sang ne fait qu'un tour, je sens son regard brûlant de rage contenue s'abattre sur moi. Alors, l'oxygène hors de mes poumons, je pivote mon attention sur lui.

– Répète pour voir.

Je déglutis, croisant ses yeux bleus. Il aspire la mort, les ténèbres. Je regrette immédiatement mes mots. Seule l'envie de me décomposer sur place demeure présente dans mon cerveau tant je ne sais pas où me mettre.

UNFAIRNESSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant