.02. L'exception à la règle

5.9K 176 97
                                        




Septembre, Maison des Hooper.
Shatwood.

Yennefa.

Assise sur le rebord de la fenêtre, elle laisse sa cigarette crépiter lentement tandis que son attention se perd au-delà du ciel.

La nuit s'étire, obscure et silencieuse, la fumée s'élève en volutes avant de se dissiper dans l'obscurité. La plante nue de ses pieds est à plat sur le béton qui encadre sa fenêtre.

Depuis le lit, je l'observe. Ses cheveux blonds retombent sur son visage, ne laissant entrevoir que l'éclat rougeoyant de sa clope.

Elle se tourne finalement vers moi, détachant son regard de la noirceur du ciel.

– Tu es prête ? me demande-t-elle, braillant sur moi, ses yeux noisette.

Sa voix est sereine, presque détachée, mais je perçois l'inquiétude sous-jacente entremêlée à son intonation.

Je me pince la lèvre inférieure, réfléchissant vaguement à la réponse que je vais lui donner.

– Je ne sais pas... J'aurai ma réponse demain j'imagine, rétorqué-je, feignant l'indifférence avant de lever légèrement mes épaules.

Elle tire une dernière bouffée de poison, puis écrase son mégot dans un cendrier en métal.

Les veilles de rentrée ont toujours eu ce don de raviver en nous une fébrilité, une sorte de tension sourde qui pèse sans se nommer.

Je la toise toujours, cherchant dans son expression quelque chose qui m'échapperait.

Cette nuit est une charnière, le dernier instant avant que nos vies ne prennent des trajectoires distinctes. Ce changement me semble immense, vertigineux.

Comme si, au matin, tout devait basculer.

Hailey entame des études de commerce, rien de surprenant venant d'elle. Depuis que nous nous connaissons, elle n'a cessé d'incarner cette ambition implacable, une fameuse certitude ancrée en elle comme une évidence.

Là où elle avance sans hésitation, je vacille encore.

– Il est tard, on devrait se coucher, suggéré-je à mon amie en jetant un regard à mon téléphone.

Elle acquiesce dans un léger sourire en coin avant de gagner son lit, étouffant un bâillement.

– Tu as raison.

À l'aide de mes coudes, je me hisse hors du lit pour quitter la pièce, joignant ma chambre juste en face de la sienne.

Une fois que je me glisse sous les draps, mon corps se relâche, mais mon esprit demeure en éveil.

Tu dois mourir.

Ces trois mots me hantent depuis plus de deux mois, revenant sans cesse dans ma tête. Je ferme les yeux, forçant mes pensées à se dissiper.

Je repense à ce chemin parcouru, à ce passé qui, malgré la distance, conserve une emprise sournoise sur moi.

Après l'incident avec ma mère, il y a eu ce vide, cette errance. Mais aussitôt, j'ai eu la chance d'avoir cette main tendue des parents de Hailey. Ils m'ont accueillie, intégrée à leur monde avec une bienveillance que je n'attendais plus.

Et pourtant, même après toutes ces années, une part de moi peine encore à croire en cet amour.

Comme si l'idée même d'être aimée pour ce que je suis restait un concept fragile, trop beau pour être vrai.

UNFAIRNESSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant