Tragédie

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J'entends le bruit le plus effroyable qui soit. On ne voit cela que dans les films, pas dans la réalité. Un coup de feu vient d'être tiré, je sursaute face à la violence du vacarme et ferme les yeux par reflex. Alors même que je me tiens face à Nate, je rouvre les yeux apeurés et regarde mon homme. Je vois ses yeux se révulser, son corps tout entier s'effondre et sa tête heurte violemment le rebord du trottoir.
Je crois que mon cœur vient d'être arraché de ma poitrine. J'hurle de désespoir, me précipite vers son corps inerte qui jonche au sol, je relève les yeux, pour apercevoir Khalil, l'arme encore fumante à la main.
La sécurité de l'hôtel court dans notre direction, ils plaquent Khalil au sol...

Des larmes brûlantes ruissellent sur mes joues, je me sens sans vie. La chemise noire de Nate est totalement imprégnée de sang, j'essaie tant bien que mal de maintenir une pression sur sa poitrine où la balle s'est logée. J'observe une flaque de sang se répandre sous sa tête, dû au choc lors de sa chutes.
J'hurle de douleur, et de peur, je ne peux pas perdre mon âme-sœur maintenant. Nous venons à peine de nous retrouver, je ne peux vivre sans lui, il est mon monde, ma vie.

Une foule s'amasse et observe la scène avec effroi. Les secours arrivent très rapidement, les ambulanciers me demandent de m'éloigner et de les laisser lui apporter les soins nécessaires. Je ne peux quitter le corps de Nate, j'ai besoin de le sentir, de sentir la chaleur de son corps, pour me rassurer, pour me donner l'espoir d'y croire.

Ed et Jack me tirent de force, les filles essayent de me résonner, mais je ne peux me contrôler, c'est au-dessus de tout, je me débats, je veux être avec lui, j'ai besoin de lui. Je hurle « laissez-moi rester avec lui, je ne veux pas le perdre » et je répète cette même phrase en boucle. Je n'ai jamais ressenti de peur aussi intense. Je me sens dévastée. A quelques mètres du corps de Nate, je vois les professionnels de la santé s'affairer autour de lui. Ils pensent ses blessures, tentent en vain de le réanimer, posent des voies veineuses, chaque geste est comme orchestré, tout est précis et très rapide. En quelque minutes Nate est sanglé sur le brancard et ils courent pour monter dans l'ambulance et l'amener à l'hôpital le plus proche.

Je tremble de tout mon corps. Une autre ambulance s'occupe de moi, mais je ne peux ni parler, ni me mouvoir, je me sens sans âme, vidée, j'ai froid, et suis dans un état léthargique. Ils m'escortent également en ambulance à l'hôpital. Frany à mes côtés tente de me rassurer, que mon homme est fort, qu'il ne me laissera pas seule, que c'est un battant. J'entends ses paroles, mais ne les assimile pas.

Assise dans ma chambre d'hôpital, fixant mes mains ensanglantées, je revis cet instant terrible. Les médecins me parlent, je n'entends rien, mon cerveau est déconnecté, je revois les yeux de Nate se révulser, puis il tombe, et sa tête heurte le sol dans un bruit sourd.

Les policiers viennent pour m'interroger, je ne me rappelle même pas leurs questions, encore moins de mes réponses. Mes amis sont à mes côtés, dans le silence le plus total, je reste ainsi pendant des heures, en position fœtal, ne pouvant parler. Je ne saurais dire combien de temps. Je me souviens avoir vu le jour apparaître, puis le noir complet, je me suis endormie sentent la chaleur de mes larmes ruisseler sur mon visage. Mon sommeil est aussi paradoxal que mon état, juste le noir et l'angoisse.

Les infirmières me réveillent dans le courant de la matinée.

• Madame Prestone, le médecin qui s'est occupé de votre ami va venir vous voir dans 5 minutes. Comment vous sentez-vous ?
• Est-il en vie ?
• Le médecin va arriver, vous pourrez lui poser toutes les questions désirées.

Un homme mature vin à mon chevet.

• Madame Prestone, Bonjour, je suis le Professeur Delorme, je me suis occupé de Monsieur Romano après son arrivée à l'hôpital.
Monsieur Romano est dans un état critique grave. Les prochaines 24h seront déterminantes. A son arrivée nous avons immédiatement traité sa blessure par balle. Dans son malheur, il a eu beaucoup de chance, la balle n'a pas touché son cœur, elle s'est logée sous une côte. Cependant, lors de sa chute, sa tête a violemment heurté le rebord du trottoir, ce qui a provoqué un traumatisme crânien sévère. Pour le moment il est dans le coma et nous ne pouvons déterminer l'étendue du traumatisme. Ce sont les seules informations que je puisse vous fournir pour le moment.
• Va-t-il s'en sortir ?
• Il est trop tôt pour se prononcer. Comme je vous l'ai dit, les prochaines 24 heures seront déterminantes.
• Combien de temps restera-t-il dans le coma s'il s'en sort ?
• Il est impossible de le savoir.
• Où est-il ? Puis-je le voir ?
• Pas pour le moment. Il est dans une unité spéciale des soins intensifs. Nous reviendrons régulièrement vers vous pour vous tenir informé de son évolution.
• Et s'il ne se réveille plus ?
• Madame Prestone, votre fiancé est un homme en pleine forme. Il est jeune, c'est un battant, ne baissez pas les bras aussi rapidement, nous sommes là pour prendre soins de lui.
• Ce n'est pas mon fiancé...

C'est reparti, les larmes coulent comme un torrent. Elie, Frany, Jackson et Ed sont toujours à mes côtés. Personne ne sait quoi dire, le silence nous unit dans la douleur. Elie que j'admire plus que tout au monde, a pris les devants et a averti les parents de Nate. Ils arriveront ce soir par avion avec mon père.
Mes amis ont reporté leur départ à deux jours plus tard. Je ne sais pas ce qui va se passer, ni comment nous allons nous sortir de ce malheur, mais une chose est certaine, je ne le quitterai jamais, je ne partirai pas d'ici sans Nate. Les médecins sont inquiets pour mon état psychologique.

Dès leur arrivée, Marie, Charly et papa sont venus me retrouver.
Ses parents, ne peuvent pas non plus voir Nathanaël pour le moment. Je continue à verser toutes les larmes de mon corps, les seuls moments durant lesquels je ne pleure pas, sont les brefs instants ou je m'endors d'épuisement, puis me réveille en sursaut à bout de souffle, souhaitant me réveiller d'un cauchemar. Je ne pensais même pas qu'il était autant possible de pleurer. Mon père est dévasté de me voir dans cet état, et les parents de Nate sont aussi vides que moi. A chaque fois qu'une infirmière vient dans ma chambre, je les supplie de me laisser le voir, rien qu'une minute.

Lundi matin Pr Delorme vient nous voir.

• Je vous avais promis des nouvelles régulières. Pour le moment son état s'est stabilisé, mais ses blessures restent graves. Nous ne connaissons pas l'étendue des dégâts causées au cerveau de Monsieur Romano. Nous avons mis en place un monitorage intracrânien, ce qui va nous permettre de mesurer l'oxygénation cérébrale et les principaux substrats du cerveau, notamment le glucose et le lactate. Nous pouvons suivre les modifications de la physiologie cérébrale du patient en temps réel. Ainsi, nous pourrons mettre en place un traitement spécialement adapté.
• Quand va-t-il se réveiller ?
• Nous ne le savons pas. Il est impossible à déterminer le temps qu'un patient restera dans le coma. Je vous demande d'être patients, vous serez mis au courant de chaque étape de son évolution.
• Nous souhaitons le voir, il nous est impossible de supporter cette douleur sans même pouvoir l'apercevoir.
• Je comprends votre frustration. Nous ne pouvons vous laisser entrer aux soins intensifs, cependant, vous pouvez le voir à travers la vitre de son unité. 

Nous avons bondi hors de la chambre, c'est plus fort que tout, il faut qu'on voie Nathanaël coûte que coûte.
Le voir ainsi allongé, inerte, sans signe de vie, la peau pâle, tous ces pansements, intraveineuse, masque à oxygène, c'est déstabilisant. Mais il est là, son cœur bat, et je me raccroche à ce seul espoir. Je me battrai pour lui, je n'accepte pas qu'il nous laisse. Je me dois de garder la tête froide, je dois être forte pour Nate.

A vrai dire, je n'imaginais pas passer ainsi mon premier anniversaire avec Nate.

Une semaine plus tard, nous sommes encore à Paris. Les parents de Nate se battent pour le faire rapatrier aux état unis. Les procédures et l'organisation pour le rapatriement prennent du temps, beaucoup d'énergie et de l'argent. Je me bats pour gérer les fuites dans les journaux, je ne veux aucune médiatisation et j'harcèle Elie et les avocats de Nate pour qu'ils limitent et encadre les éventuelles fuites.
Nous pouvons enfin l'approcher, mais il reste inconscient. Je lui parle sans cesse, dans l'espoir de le voir réagir, je le supplie de reprendre connaissance.
Avec Marie et Charly, nous nous relayons afin que Nate ait constamment une présence familiale.

A la fin de la deuxième semaine, nous obtenons enfin l'autorisation de rapatrier Nate à Seattle. Un soulagement pour nous tous. À la maison, nous serons plus confortables pour être présent et mettrons tous en œuvre pour qu'il se rétablisse.
Marie reste à ses côtés pour le vol retour en avion médicalisé. Charly et moi les attendons à l'aéroport. Nous sommes accueilli à l'hôpital privé St.-Joseph à Seattle.
Nate est placé dans une grande chambre spacieuse, le personnel est aux petits soins, autant avec lui, qu'avec nous.

Nous avons beaucoup échangé avec les médecins chargés de Nate afin de mettre en place toute l'organisation autour de sa prise en charge.
Nous prenons conscience que plus les jours passent, moins il y a d'espoir. C'est dure de se sentir si impuissant face à cette tragique situation. Les médecins nous conseils de le stimuler auditivement et olfactivement, avec tout ce qui peut lui être familier.

Je retourne au travail pour organiser mon absence des semaines à venir. Dès mon arrivée dans les locaux, je suis submerger d'émotion. Je suis accueillie avec tellement d'amour. Ma deuxième famille prend soins de moi comme personne.
J'ai immédiatement compris que Steven a repris la relève comme un chef. D'ailleurs c'est à lui que je laisse les rênes pendant mon absence. J'essayerai de passer régulièrement pour superviser certaine affaire.

J'ai également pris rendez-vous avec le comité d'administration d'American Rock. J'ai besoin de discuter avec eux, de leurs donner des nouvelles et voir si tout se passe bien. En entrant dans ce bâtiment, tous nos souvenir me travers l'esprit. J'avance la tête haute avec les larmes aux yeux. Ici, les employés sont plus discrets, je sens leurs regards pesants, ce qui me met davantage de pression.
Rachel s'effondre en me voyant arriver et nous restons dans les bras d'une de l'autre un long moment à sangloter. Je la sonde pour voir comment se passe la gestion de l'entreprise depuis l'absence de Nate. Les affaires roulent, mais chaque jour qui passe complique la situation.
L'entretien se passe dans leur salle de conférence, je me sens toute petite face à ses hommes et femmes d'affaires. Je leur explique ouvertement la situation, les informent que l'absence de Nathanaël sera prolongée à l'indéfini. Devant tant de franchise ils restent sans voix.

• Madame Prestone, nous n'avons pas l'autorisation pour certaine signature, avec qui devons-nous voir cela ?
• Je pense qu'il faut contacter l'étude d'avocats dans les plus brefs délais. Maître Almasi saura vous renseigner.
Si cela ne vous dérange pas, j'aimerai passer régulièrement pour prendre des nouvelles et ainsi pouvoir les rapporter à Monsieur Romano. Je reste persuadée que malgré son coma, il peut nous entendre et surtout il a besoin d'être stimulé.
• Pouvons-nous faire quelque chose pour lui et pour vous ?
• Gardez Rock sur pied...

En ressortant du bâtiment, je cours me changer à la maison pour pouvoir retrouver Nate au plus vite. J'entre dans mon appartement et me retrouve une nouvelle fois avec une lettre glissée sous ma porte. Avec tous ces évènements, j'ai complétement oublié que ma mère essaie de me contacter. Cette fois je l'ouvre, déterminée à savoir ce qu'elle me veut.

Je lis le texte recto-verso. Après des années d'absence comment peut-elle me demander cela. D'autant qu'elle connait ma situation actuelle, elle ne peut pas ne pas être au courant de ce qui s'est passé à Paris. Je suis bouleversée par tant de culot.

Dans sa lettre elle s'excuse à de nombreuse reprise de m'avoir abandonné, que sa décision a été difficile à prendre, mais que l'enfant qu'elle portait et l'amour qu'elle avait pour un autre homme l'a poussé à prendre cette décision.
J'ai une demi-sœur... et non seulement j'ai une demi-sœur, mais cette jeune fille de 12 ans est atteinte d'une maladie génétique rare et doit subir une greffe.
Aux Etats-Unis, les enfants sont prioritaires sur la liste des receveurs. Cependant, la limite est fixée à 12 ans, puis ils passent sur la liste d'adulte, toujours en priorité, mais il est plus long à trouver un donneur.
Ma mère, que je n'ai pas revue depuis plus de 12 ans, me demande de faire un test de compatibilité et d'être donneuse volontaire pour sauver la fille pour laquelle elle m'a abandonné.

Après tout ce qui vient de se passer avec Nate, comment porter tout ce poids sur mes épaules sans m'écrouler. Pourquoi le destin s'acharne-t-il tant sur moi ? Comment puis-je prendre une telle décision ? Comment a-t-elle le courage de me demander cela ? Je suis en train de me battre pour garder la tête hors de l'eau, supporter la douleur de l'accident avec Nate, la peur de le perdre, de jamais le voir se réveiller.
Et maintenant ma génitrice, celle qui m'a brisée, celle qui m'a abandonné lâchement, me demande un acte surhumain.

J'appelle mon père, Elie et Frany. C'est d'eux dont j'ai besoin pour gérer cela.
A peine 30 minutes plus tard nous sommes les quatre réunis dans mon salon, nous regardant dans le blanc des yeux, la lettre est passés de mains en mains. Sans savoir quoi dire, ni quoi faire nous attendons que quelqu'un prononce le premier mot.
Encore une fois, c'est dans la douleur que nous sommes entourés de personne que nous aimons et sur qui on peut se reposer.

• (Papa) Ma chérie, cette intervention peut te coûter la vie. Cette demande est inacceptable, je ne veux pas te perdre.
• Je sais papa
• (Frany) Je suis de l'avis de ton père. De quelle droit Aude peut-elle te demander un tel sacrifice ? Ta vie ne sera plus jamais la même après une intervention aussi conséquente.

Puis la voix de la raison prend la parole :
• (Elie) Je pense qu'elle est désespérée, sinon elle ne l'aurait jamais demandé à Divy. Divy, tu es indirectement dans la même situation que ta mère. Si tu pouvais, tu demanderais la même chose à n'importe qui pour que Nate se rétablisse. Non ?

C'est la phrase la plus censée que j'ai entendu de la journée. C'est vrai, je donnerai le monde entier juste pour revoir son regard ténébreux. Lorsqu'on est désespéré, on est prêt à faire tout et n'importe quoi. Mais là, maintenant, dans mon état psychologique, ai-je la force d'affronter ma mère et de lui donner ce qu'elle me demande.

Je retrouve Nate à l'hôpital. Je lui fais sa toilette et masse son corps. Je vois ses muscles s'affaiblir de jour en jour. Je lui parle de cette fameuse lettre et de la demande qu'elle contient. J'aurais aimé qu'il se réveille et me dise quoi faire. Il m'aurait sûrement protégé de peur que quelque chose ne m'arrive. Aurait-il trouvé une autre solution ? Lui qui est si investi dans diverses associations, en particulier ce qui touche les enfants malades. Je n'obtiens aucune réaction de sa part. Je lui demande de me serrer la main, mais son corps ne bouge pas. Toujours le cœur lourd, j'ai espoir qu'il me fasse un simple signe pour me rebooster et me donner du courage pour continuer à y croire.

Cette nuit-là, je ne peux dormir, des milliers de pensés n'obscurcissent l'esprit.
Je débloque le numéro de ma mère et lui envoie un message, malgré l'heure tardive.

« J'ai reçu ta lettre. Je ne peux te répondre pour le moment. Ai-je le temps pour la réflexion ?»

La réponse fu immédiate :

« Oui, tu as le temps. Merci Divy »
« Ne me contacte pas entre temps. »
« Très bien, je comprends »

Je ne peux m'endormir, je m'habille à l'arrache, prends mes clefs et m'installe dans ma Tesla. Il n'y a qu'un seul endroit où je me sens bien.
Je rentre dans la maison de Nate, me jette sur son grand lit imprégné de son odeur. C'est douloureux et réconfortant à la fois. Je m'endors encore une fois avec des larmes qui ruissellent sur mes joues. Au réveil, je cherche instinctivement sa présence, puis saisi mon téléphone pour voir si je n'ai pas eu d'appel de l'hôpital.

C'est ainsi que les jours passent et se succédent, nous sommes à 7 semaines après l'incident, et toujours aucune amélioration, ni signe d'un éventuel réveil. Je vis dans une routine d'angoisse et de stresse orchestrée par mes allées et venues à l'hôpital, puis mes passages chez Romano architecture et chez American Rock. Je n'ai plus d'appétit et me sens faible du fait que je ne trouve pas le sommeil la nuit. Lorsque je m'endors, je fais constamment le même cauchemar, voyant Nate les yeux révulser, s'effondrer au sol

Plongée dans son regard Where stories live. Discover now