18. Illusion

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Encore cette même silhouette qui m'était familière.

Je m'étais rendue compte de sa présence au dernier moment, alors que je lavais des verres, et il était trop tard. L'ombre se déplaça à travers la foule, puis disparût sans que je n'eus le temps de voir son visage. Étrange. Est-ce que je me ferais des films ?

Tous les éléments récents de ma vie me rendaient dingue et complètement paranoïaque. Je me méfiais de tout et de tout le monde. Du moindre bruit. Du moindre geste d'un quelconque inconnu. Du moindre souffle de vent.

J'avais peur que les hommes du soir dernier ne reviennent à la charge, bien que personne ne s'était encore pointé devant le pub depuis.

Les visages se succèdent. Des solitaires en quête d'un peu de compagnie, des amoureux éperdus se noyant dans le regard de l'autre, des groupes d'amis fêtant bruyamment leur complicité. Je suis témoin de leurs joies, de leurs peines, de leurs instants volés.

Alors que je servais un énième verre, j'aperçus les danseuses de Charlie faire leur entrées comme chaque soir.

Elles apparurent, et leurs silhouettes élancées se dessinaient dans la lumière tamisée, éveillant les murmures admiratifs des spectateurs. Vêtues de costumes étincelants, elles étaient les danseuses de la nuit, les muses qui illuminaient ce coin d'ombre.

Je les admirais sans las, ces danseuses de l'ombre. Confiantes, belles et audacieuses aux corps de déesses.

Certains soûlards montèrent sur l'estrade, les plus fous s'enroulèrent autour de la pole dance et la soirée battait ainsi son plein. Les néons colorés se reflétaient sur les murs, les conversations animées et les rires étouffés égayaient les lieux et me faisaient timidement vibrer aussi, nouvellement.

Je commençai à essuyer le comptoir d'un torchon humide, lorsque ma main percuta une pile de prospectus négligemment posés là, les faisant tomber au sol. Difficile de distinguer là où ils étaient tombés dans cette obscurité, mais je réussis à en saisir quelques uns à l'aveugle, manquant de peu de me faire écraser les doigts.

Le papier dans la main, révélé par la lueur tamisée, ma valut un instant de répit. « Concert de piano donné par l'école de musique de Manhattan » avec les coordonnées du lieux, la date et l'heure.

Je gardai les yeux fixés sur les lettres durant un instant beaucoup trop long à mon goût. 

Je détournai ensuite énergiquement le regard et me dirigeai vers la poubelle cachée sous l'étagère des alcools pour me débarrasser de cette école qui me hantait depuis cette fameuse soirée.

Mais devant la poubelle, mon corps ne me répondait plus. Mon bras restait figé au dessus du vide de non-retour. Aller, jettes-le. Ma main restai hésitante, mes doigts s'agrippaient éperdument au bout de papier, et ne voulaient s'en détacher malgré moi. Putain jettes-le. Restes loin de tout ça.

Et le prospectus finit dans la poche arrière de mon jean.

Je revins sur le devant du comptoir pour prendre les commandes de ceux qui m'attendaient impatiemment comme si de rien était, comme si je ne me sentais pas coupable de mon acte.

- Tu veux un coup de main ? me lança Charlie dans mon dos, tout aussi débordé que moi.

- N-non, ça va aller, répondis-je entre deux commandes.

Mes mains étaient collantes, mon torchon sur l'épaule complètement sale et mon tablier tout autant. Je regardai l'heure : 23H46. Moins de deux heures avant que je ne finisse mon service.

Je jetai un coup d'oeil nerveux à la porte d'entrée vitrée qui donnait vue sur la rue. Personne ne semblait roder. Je soufflai un coup.

Puis mon souffle se coupa aussi vite.

RENAISSANCEOnde histórias criam vida. Descubra agora